[RIP] Max (Orchid ANS) 27/06 Une Fin... p5

Je ne suis pas sage.
Je ne suis pas lisse.
Je ne suis pas propre.
Je ne suis pas soumise.
Je ne suis pas fragile.
Je ne suis pas tendre.
Je ne suis pas polie.
Je ne suis pas gracieuse.
Je ne suis pas à vendre.
Et je ne suis pas à toi.

Je ne suis pas une gentille fille, non.
Je suis de celles qui tirent les cheveux et qui mordent.
De celles qui griffent,
Qui crachent, qui hurlent.
De celles qui s'en foutent pas mal que tu les aimes ou pas.
Je suis de celles qui ne pleurent pas
Mais qui font pleurer beaucoup.

Je suis une sorcière.
Pas une bien-aimée.
Pas une bienveillante.
Pas une méchante non plus,
Dans le fond.
Je ne suis pas cruelle.
Je ne pense qu'à moi.
Je ne respecte aucune loi.
Je ne contrôle rien.
Je suis le Chaos fait femme.
On me nomme Hasard.

Je ne suis pas mortelle.
Si on me décapite, ma tête continue de parler.
Si on me brûle, je renais de mes cendres.
Ça n'est pas mon choix, ça ne l'a jamais été.
C'est ma malédiction.
Mon châtiment.
Ma punition.
Et si je réussis à mettre la main sur le responsable...


Ça va chier.

La porte s'ouvrit, faisant sonner la clochette suspendue. Son tintement clair la fit sursauter. Etait-ce vraiment une bonne idée ? Son amie lui avait conseillé cette boutique ("Tu verras, c'est un peu cher, mais elle fait des MI-RACLES !"), une sorte d'échoppe ésotérique tenue par une dingue qui se disait sorcière. Joséphine s'était montrée sceptique, mais elle y était allée quand même. Après tout, qu'est-ce qu'elle avait à perdre ?

Maintenant qu'elle y était, elle doutait.

Le monstrueux bordel dans lequel elle venait de faire irruption y était peut-être pour quelque chose. C'était quoi, un antiquaire ? Elle s'était trompée d'adresse peut-être ? Des morceaux de poupées épars, des fleurs séchés, des fourrures, de la dentelle, quelques peluches, des vases anciens, des sculptures bizarres… Le tout traînant au sol avec un je-m'en-foutisme évident. Joséphine s'était imaginé une sorte de boutique new-age, les murs placardés de mandalas, qui sentirait l'encens, sa propriétaire arborant fièrement un superbe chapeau en papier alu "qui empêche les aliens de lire les pensées". Pas cette… porcherie.

Mais dans tout ce fatras, transparaissaient ça et là des objets qui se détachaient du lot de babioles sans valeur. Un attrape-rêve ornementé d'opales. Une paire de ciseaux ouvragés. Des livres anciens. Et ces bijoux, accrochés au cou d'un mannequin de couture…

"Vous désirez ?"

Jo' sursauta, le coeur battant, et se retourna vers la voix… Alors ça, ça devait être la propriétaire. Affalée dans un fauteuil, ses cheveux rouges épars, elle la fixait, son visage couvert d'une épaisse couche de maquillage. Non, se corrigea-t-elle, ça ne ressemblait pas à du maquillage, c'était plus comme un tatouage, un motif sous sa peau qui transparaîtrait… Depuis combien de temps l'observait-elle, immobile ?

"Vous désirez ?"

Répéta la "sorcière", en articulant bien, le ton impatient, comme si elle parlait à un enfant particulièrement demeuré. Joséphine se sentit subitement mal à l'aise. Le regard de cette femme était froid. Non, pas froid. Glacial. Comme si elle n'était qu'une petite chose insignifiante dénuée du moindre intérêt qui puisse justifier son existence. Ou plutôt, comme si elle n'existait même pas, un simple meuble assez laid, posé là temporairement. Quand elle avait mis son plan au point tout avait semblé assez simple, évident même. Maintenant qu'elle se retrouvait face à face avec ce visage impassible, elle se sentait ridicule. Elle ouvrit la bouche, et la referma plusieurs fois d'affilées, sans parvenir à en faire sortir le moindre son. D'un geste Max lui intima le silence et continua, sa voix rauque sifflant dans la poussière flottante de la boutique.

"Neuf fois sur dix, les gens qui me contactent le font soit pour obtenir la jeunesse éternelle, soit pour leurs histoires d'amour. Je vais parier sur l'amour, je me trompe ?"

Au hochement de tête de la jeune femme, la rousse leva les yeux au ciel et poussa un profond soupir, qui ne semblait même pas exprimer le quart de l'ennui terrible que cette requête lui inspirait.

"C'est bien ce que je pensais. Être capable de terrasser les plus grands démons d'un geste, défier les dieux et le temps, traverser les continents et les siècles… Tout ça pour finir au courrier du coeur. On dirait une mauvaise plaisanterie."

Bien que Joséphine se tienne bien droite, s'efforçant d'afficher une attitude neutre, elle ne parvint pas à dissimuler l'expression d'incompréhension qui s'était peinte sur ses traits. La sorcière soupira une seconde fois et se saisit d'un flacon de porcelaine blanche, ornementé de motifs antiques, qui trainait à ses pieds.

"Ça devrait faire l'affaire. Une simple potion d'Amour Eternel, pour lier vos deux coeurs par-delà la Mort. Ça fera 80 euros…"

La main tremblante, Jo' extirpa son chéquier de son sac à main. Une fois rempli et signé, elle tendit son paiement… Max lui attrapa le poignet, le serrant à lui faire mal. Elle chercha à se dégager, en vain, c'était comme si elle avait coincé sa main dans un étau… Le chèque lui échappa et voleta jusque sur le plancher poussiéreux. Les yeux de la sorcière ne lâchaient pas les siens…

"Ce que tu désires, tu auras, mais n'oublie pas, enfant stupide, les conseils que je vais te donner."

Son ongle s'enfonça dans la chair tendre de sa paume, y traçant un rapide signe, et Jo' poussa un cri de douleur. Persuadée qu'elle l'avait entaillée, elle baissa les yeux, mais rien. Sa main était intacte, si ce n'était cette brûlure sourde qui persistait…

"Tu lui en donneras la moitié dans un verre, et tu en garderas l'autre pour toi. Voilà, mon premier conseil, tu ne l'entendras qu'une fois."

Max redessina le symbole qu'elle avait déjà tracé la première fois, tirant à Jo' un nouveau gémissement.

"La potion, tu ne la mélangeras pas et ton amour seul l'enivrera. Voilà mon second conseil, tu ne l'entendras qu'une fois."

Pour la troisième fois, la brûlure invisible déchira la main de la jeune fille, qui s'arcboutait de toutes ses forces pour se libérer de sa prise, sans y parvenir.

"Que le Rongeur de Temps m'emporte si je mens, je t'ai dit la vérité, et tu m'as écoutée. Va, à présent."

A la souffrance se substitua la fraîcheur du flacon de céramique, et les doigts de Max se desserrèrent enfin. Sans demander son reste, Joséphine détala, serrant contre elle la potion si chèrement acquise. Elle était déchirée entre l'envie d'éclater en sanglots et la colère… Jamais de sa courte vie elle n'avait eu aussi peur.

Dans la boutique, Zolran complétait le chèque abandonné à l'ordre de la sorcière. Toujours affalée dans son fauteuil, en reine trop souvent satisfaite d'elle-même, Max se tourna vers le démon, sourcils froncés dans une expression soucieuse qu'il commençait à bien connaître. Elle l'avait après chaque transaction, après tout.

"Combien tu paries qu'elle va oublier mes recommandations ?
- Je ne parie rien du tout."

Il leva les yeux vers la vitrine au travers de laquelle il pouvait encore voir la gamine inconsciente en train de détaler et un rictus ironique se peignit sur ses lèvres. On ne pouvait pas attendre de lui qu'il se montre compatissant...

"Elle a DEJA tout oublié."