Post à caractère sensible (peu ragoûtant)Chapitre en deux parties comportant donc deux photos!
Musique (indispensable):
- Spoiler:
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Quelques jours plus tard-------------------------------
C'était une nuit comme les autres.
Pas un bruit ne troublait le calme de la jungle où seuls résonnaient les bourdonnements des insectes. La température était enfin supportable, mais il ne parvenait pas à dormir. Il regardait dehors à travers les tiges de plantes entremêlées qui constituaient les murs de sa cabane. Achevée depuis presque deux semaines, elle était si bien camouflée qu'elle était invisible de l'extérieur tout en lui permettant de voir sans être vu. Celà s'était révélé salvateur quand des gamins l'avaient suivi quelque jours plus tôt - et pourtant, il portait un débardeur rouge à ce moment là. Un matelas gonflable, une fine couverture en madras, une moustiquaire, une lampe solaire, une petite table au ras du sol et un mini balai qu'il avait fabriqués lui-même, quelques provisions et "L'île au trésor": le confort pouvait sembler rudimentaire, mais l'ensemble était sacrément chouette pour une cabane, surtout que ce n'était pas gagné au départ.
Maintenant qu'il avait son endroit à lui, ce n'était pas rare qu'il y passe la nuit bien qu'il ne soie pas encore habitué. Il se sentait bien, là, dans cet endroit isolé où il ressentait une impression de
sécurité.
Soudain des voix retentirent quelque part au loin.
Surpris, il tendit l'oreille.
La discussion semblait particulièrement animée.
Mais qui diable pouvait bien être là, en plein coeur de la forêt et au beau milieu de la nuit?
Lentement, sans un bruit, il se leva et sortit, lampe éteinte à la main; son instinct lui dictant la prudence. Il n'y voyait pas grand chose avec la couverture des végétaux, heureusement que le ciel était clair, et que la lune était pleine.
Faisant particulièrement attention à là où il posait les pieds, avançant courbé en deux, il se rapprocha discrètement du bruit en se faufilant entre les branches, sans accorder d'importance aux moustiques qui s'intéressaient à lui, prenant surtout garde à ne pas faire crisser les feuilles au sol. Il y avait de la lumière, là, quelque part devant lui, et une vague odeur de feu de bois. La dispute avait l'air violente. Il se ratatina sous les arbustes, jusqu'à se dissimuler derrière le pied d'un arbre, d'où il pouvait enfin voir la scène.
Trois hommes se tenaient là. Son coeur s'arrêta quand il constata que chacun portait une, voire même deux ou trois armes de guerre. Qui étaient-ils et que faisaient-ils là? Il commença à se sentir mal à l'aise. L'altercation s'envenimait.
"- Crache le morceau, railla l'un des protagonistes à celui qui était en face de lui; On sait que tu savais. Ces connards de garde-côtes ne bougent jamais leurs miches jusque là en temps normal, alors pourquoi as-tu soudainement insisté pour prendre le tour de garde et rester à bord, pendant que nous autres, on se faisait plomber le cul comme des lapins? Ne trouves-tu pas la coincidence un peu trop commode?"
L'homme ne répondit pas. Sa main semblait lentement glisser vers le fusil qu'il portait dans le dos en bandoulière. L'adolescent retint son souffle. Il avait très nettement l'impression d'assister à quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir, mais n'arrivait plus à bouger. Il se colla au tronc de l'arbre, la sueur lui dégoulinant le long des tempes.
"- Tu sais ce qui arrive aux traîtres, hein, Billy!" lança l'autre en préparant son propre fusil.
Le sang battait dans les oreilles de l'observateur. Il avait la tête qui tournait. Ils n'allaient quand même pas...?
L'homme tenu en joue eut à peine le temps de paniquer, et l'adolescent de comprendre. Un bruit assourdissant et répétitif, l'éclat doré des douilles sous le feu rougeoyant, le corps soubresautant sous l'impact des balles et basculant en arrière, roulant dans le ravin en contrebas.
Dans sa cachette, il parvint à ne pas crier, trop abasourdi pour y croire. Ce n'était pas réel... Ca ne pouvait pas être réel...
Les deux hommes rirent grassement pendant quelques instants avant de s'asseoir auprès du feu et commencer à boire. Il fallait qu'il bouge... il fallait qu'il réussisse à bouger. Il ne devait pas rester là...
Il tremblait. Il réalisa qu'il tremblait de tous ses membres. Ses jambes refusaient d'obéir.
Merde... Il parvint progressivement à reprendre le contrôle de son corps, et se glissa lentement sous les fourrés, terrifié à l'idée de faire craquer la moindre brindille. Il s'éloigna peu à peu en silence.
Quand il fut suffisamment loin, il se releva et courut de toutes ses forces.
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Ses genoux et poignets étaient endoloris suite à sa lourde chute face contre terre, mais il avait fini par regagner sa cabane sain et sauf, en se gardant bien d'utiliser la lampe. La première chose qu'il avait faite avait été de se passer un peu d'eau sur la figure et se laisser tomber assis sur son matelas, la tête entre les jambes, essayant de respirer calmement. C'était comme si sa tête était sur le point d'exploser, il n'arrivait pas à
penser.
Il se mit à écouter les bruits de la forêt avec angoisse. Et si jamais ces types l'avaient entendu s'échapper d'une façon ou d'une autre?
Du calme. Cette cabane est déjà quasi invisible de jour, alors c'est pas à se demander en pleine nuit... Je ne crains rien. Je ne crains rien... Sa main s'était instinctivement dirigée sous le matelas et avait écarté la fine couche de terre dissimulant la boîte, qu'il récupéra. Il s'assura que l'arme était chargée et ôta le cran de sécurité. Tout irait bien... il n'était pas sans défense. Et il ne pouvait pas être trouvé.
Il resta là, immobile, à écouter attentivement le moindre son, tandis que son cerveau se remettait progressivement en marche. A quoi avait-il assisté? Qui étaient ces types? Ils étaient armés jusqu'aux dents, portaient des fusils de soldats et des poignards énormes. Mais ils avaient davantage l'air de soudards. De quoi avait parlé l'un d'entre eux? De garde-côtes? De
rester à bord? Son coeur s'emballa à nouveau. Ce n'était pas possible... Les pirates, ça n'existait plus... Plus vraiment en tout cas, n'est-ce pas? Pourtant, il ne pouvait pas nier ce qu'il avait vu, ni entendu.
Ses yeux rencontrèrent son exemplaire de
L'île au trésor. Il songea amèrement que la réalité était beaucoup moins romanesque.
Le jour finit par se lever, le soleil percer entre les feuilles des arbres. Il se détendit peu à peu et ouvrit une barre de céréales à la fraise. Il était si fatigué... n'avait-il pas rêvé tout ceci? Celà lui semblait tellement impossible, tellement flou... Il remit le cran de sécurité en place. Ses mains étaient encore tremblantes.
Opium 15y chpt 4-1 No grave for traitors par Poison_Lady, sur Flickr Il faisait une chaleur infernale, et le soleil tapait fort, en ce milieu d'après-midi. La matinée avait passé comme s'il s'éveillait d'un long cauchemar.
Qu'était-il en train de faire?
Simplement s'assurer qu'il n'avait pas imaginé tout ça.
Il n'avait eu aucun mal à retrouver l'endroit de jour, en particulier parce qu'il connaissait désormais suffisamment bien ce coin de la jungle. Ayant lui-même failli glisser dans ce maudit ravin pas si longtemps auparavant, il ne risquait pas d'oublier où il se trouvait.
Il n'y avait pas la moindre trace de feu de camp ici. Pas la moindre douille. Mais il savait que ce genre de chose pouvait être dissimulé et les douilles ramassées. Il se pencha vers le ravin. Sa vue ne portait pas bien loin, les arbres recouvrant la pente et le creux entre les deux collines.
Prudemment, il entreprit de descendre.
Juste pour en avoir le coeur net...Il doutait que les hommes qu'il avait vus, ou croyait avoir vus la veille se soient attardés jusqu'au lever du soleil. Et personne ne prendrait le risque de se rompre le cou dans ce ravin juste pour vérifier qu'un homme qui s'était pris une dizaine de balles dans le buffet soie bien mort.
Rapidement, il découvrit des traces dans la terre et les suivit, le coeur battant.
Il parvint au fond du ravin, et vit de loin cette forme étrange, inhabituelle, au milieu des feuilles mortes. Il sentit sa gorge se serrer. S'approcha lentement. Il fallait qu'il soie sûr...
Il déglutit. Ce n'était pas beau à voir. Après une demi-journée dans cette canicule et exposé au soleil, le corps dégageait déjà une odeur insupportable qui lui donna la nausée. La peau semblait avoir gonflé, et pris une teinte grisâtre. Toutes sortes d'insectes rampaient sur et autour de ce qui avait été, quelques heures plus tôt, un être humain. Des sortes de blattes sortaient de sa bouche grande ouverte. Il tressaillit et détourna les yeux. Du sang jonchait les feuilles. Il ramena son regard sur le corps. Six, neuf... dix. Il compta dix impacts de balles. L'homme était dans une position grotesque, le visage tourné vers le ciel que contemplaient des yeux vitreux sur lesquels des mouches s'agglutinaient. Sa main serrait encore son fusil contre lui. Ce qui signifiait...
... ce qui signifiait qu'il était encore vivant après avoir dégringolé jusque là. Combien de temps était-il resté là, le corps en miettes, attendant soit des secours, soit que ses agresseurs ne viennent s'assurer qu'il ne les gênerait plus, tandis que sa vie s'échappait lentement en même temps que son sang? Le jeune homme se secoua. Non.... non, il ne devait pas penser à ça.
Le bourdonnement des insectes lui donnait mal à la tête. Il se sentait franchement mal. Il fallait remonter... oui, remonter. Vite. Ses yeux rencontrèrent le fusil. Son coeur se mit à battre beaucoup plus vite. Il était là, par terre, sans que rien ne l'empêche de le prendre, aussi facile à ramasser que s'il s'était agi d'un champignon entre les feuilles mortes. Ce serait dommage de le laisser ici...
Il tendit une main bien peu assurée et tenta d'attirer l'arme vers lui. Le bras du mort bougea avec, dérangeant des sortes de larves qui commençaient à grouiller sur le corps. Il fronça le nez face à l'odeur putride et remonta son débardeur sur son visage. La respiration saccadée, il se mit à tirer plus fort, maîtrisant son dégoût, essayant de penser à autre chose. Une occasion pareille ne se représenterait pas deux fois. Il appliqua plus de force à son geste et le fusil se dégagea enfin d'un coup. Une nuée d'insectes s'échappa du corps en s'envolant et rampant dans tous les sens. Il en reçut dans la figure, hurla, agita brutalement les bras pour les chasser, avant de reprendre son souffle quand ce fut fini. Il avait les jambes et les bras en coton. Tout celà en valait-il vraiment la peine? L'arme gisait à ses pieds, luisant au soleil. Il la regarda quelques secondes. C'était encore plus irréel que tout ce qu'il avait pu voir jusque-là. Il se pencha et la ramassa doucement. Ses doigts caressèrent lentement le métal chauffé par le soleil, effleurèrent chaque pièce. Ses yeux scrutèrent le moindre détail. Jamais il n'aurait imaginé que ce put être si lourd... et encore moins que celà puisse être à lui. Son coeur battait toujours aussi fort mais c'était désormais pour une autre raison.
Il resta là, un long moment, concentré sur sa trouvaille.
Puis eut soudain le sentiment de ne pas être en sécurité, là, à découvert, debout auprès du cadavre. Ce n'était vraiment pas prudent de rester là...
A nouveau, il fut à l'écoute du moindre son provenant des bois.
Il avait assisté à un meurtre. Vu des pirates. Et même s'il
supposait que ceux-ci aient déserté les lieux... il ne pouvait pas en être sûr.
Son malaise revint et il jeta un oeil autour de lui.
Mû par une idée soudaine, il se pencha à nouveau sur les restes du pirate. Le cadavre ne portait pas de ceinture de munitions.
Ca aurait été trop facile, évidemment..., soupira t-il intérieurement. Il s'empara d'un bout de bois et écarta la veste de la victime dans l'espoir de localiser des chargeurs. Il en avait forcément quelque part. Lentement, le bâton souleva le haut de l'ancien pirate. Il eut un haut-le-coeur.
Des insectes... ce sont juste des insectes... juste des putain d'insectes... Rien. Il se décida à faire pivoter la dépouille. Sa branche cassa et le corps lui retomba sur le pied. Il fit un bond en arrière, recula prestement, demeura quelques secondes paniqué, tremblant, hors d'haleine, avant de reprendre ses esprits et empoigner une branche plus solide. Il fait basculer le corps et trouva enfin ce qu'il cherchait, glissés dans la ceinture arrière du pantalon.
Le corps avait gonflé, comme il l'avait déjà remarqué, et le tissu comprimait désormais complètement la chair flasque. Aucune chance de dégager les chargeurs sans tirer comme une brute. Il se résigna, respira un grand coup, en attrapa un à pleine main, et tira. Sans succès. Il lui fallait un point d'appui. Il posa un pied contre le corps et utilisa ses deux mains. Il frémit. Bien qu'un peu nauséeux et dégoûté par le contact avec la peau violacée et la raideur du corps; il gagna peu à peu en assurance au fur et à mesure qu'il eut besoin d'ajouter de la force à sa traction. Il retomba enfin en arrière, un chargeur dans la main.
Parvint à récupérer les trois autres de la même façon.
... Et si jamais ce type avait de l'argent? C'était un pirate, après tout... Maintenant qu'il y était, il entreprit de lui faire les poches, se répétant mentalement que ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Tout ce qu'il trouva fut un petit sachet de poudre beige qui ressemblait à du gingembre. Il se doutait bien que ce devait être autre chose, et aviserait plus tard.
Il se releva lentement. A présent qu'il n'était plus totalement sans défense, il était temps de quitter les lieux au plus vite. Il regarda une dernière fois le corps gisant entre les feuilles, où déjà les insectes reprenaient leur droit.
Pas de tombe pour les traîtres... songea t-il en frissonnant.
Il n'avait pas encore réalisé à quel point il temblait. Peinait à croire ce qu'il avait osé faire. Mais dans son dos, il sentait bien le poids du fusil tandis qu'il remontait tant bien que mal la pente, de la terre lui grattant les joues.
Un fusil d'assaut... J'ai trouvé un fusil d'assaut... Et j'ai vu de vrais pirates... A présent que tout était fini, il voyait tout ceci comme une énorme aventure où il avait eu de la chance grâce à un peu d'audace. Exactement comme Jim Hawkins. Il avait bel et bien découvert un trésor...
Opium 15y chpt 4-2 No grave for traitors par Poison_Lady, sur Flickr