***Concours pour gagner une Mayfair***Résultat p 18!!!

Le vilain chaperon rouge


Il était une fois une jeune fille qui avait souvent très faim. En pleine adolescence, son supplice devenait de plus en plus difficile à gérer. Elle avait besoin de manger. Tout le temps. L’un des mets dont elle raffolait le plus : la viande fraîche.

Un beau jour alors qu’elle rendait visite à sa grand-mère, une drôle d’odeur inhabituelle, régnait dans la maison. L’odeur du sang. Cette odeur qui éveillait tous ses sens la mit très rapidement en appétit. C’était la première fois qu’elle avait aussi faim. Son estomac, aussitôt alerté, se mit à crier famine. Il fallait répondre à sa requête en le rassasiant… Suivant son flair, elle tomba nez à nez avec un loup. Le loup.
Cette fameuse créature dont lui avait tant parlé sa famille, contre laquelle on l’avait toujours mise en garde depuis sa plus tendre enfance. Il finissait son festin, quelques membres de la grand-mère gisaient encore sur le sol, le sang formait une flaque qui s’était répandue depuis le corps. Une somptueuse hache était accrochée au mur, souvenir du grand bûcheron qu’était autrefois le grand-père du chaperon - malheureuse anecdote, mis en bouillie par sa passion lorsqu’un arbre qu’il coupait lui est tombé dessus-. Le chaperon remarqua l’objet dans son champ de vision, à sa droite. Le loup était encore en train de mastiquer la chair, trop obnubilé par son repas pour s’apercevoir de la présence de la jeune fille. Elle s’avança vers le mur avec une grande discrétion et saisit le plus prudemment possible la hache. Ses précautions furent vaines. Un cliquetis se fit entendre, permettant au loup de repérer l’adolescente. Un face à face commença. Digne des plus grands westerns. Qui serait le plus rapide ?
L’attitude du loup déclencha le courage du chaperon, lorsqu’il la fixa en se léchant les babines faisant glisser lentement sa langue sur celles-ci. Il semblait la narguer, lui montrant qu’il trouvait son repas délicieux. Prise d’un sursaut de colère, elle bondit vers le loup, la hache en avant. D’un geste, elle lui trancha la tête. Ce fut bref, rapide, un vrai travail d’artiste.
Réjouie, elle allait pouvoir.
Il fallait qu’elle goûte cette viande qui devait au moins valoir les steaks qu’elle avait l’habitude de manger. Elle planta ses petites canines dans la chair tendre du loup. La viande encore habitée par la chaleur ambiante du corps était délicieuse. Elle n’en crut ses papilles gustatives. Jamais elle n’avait eu l’opportunité de manger un met si raffiné - selon elle -. Son estomac était aux anges. Elle mâchait, mastiquait, le sang coulait sur son visage. Elle dégusta avec joie. Très vite, son ventre fut gonflé, repu.
Le loup était un animal imposant pour le corps svelte de l’adolescente. Malgré tout, elle rongea les os de ce dernier, jusqu’à ce que la viande qui les entourait ait disparue. Assise dans le sang, elle vit les quelques membres qu’il restait de sa grand-mère. Une idée horrible lui traversa l’esprit, mais son repas avait été tellement bon qu’il devait être perpétué. Alors, la gourmandise s’empara d’elle, elle saisit le reste d’un bras et le dévora goulûment. La viande de son aînée avait un goût différent de celle du loup, mais n’en était pas pour autant moins savoureuse. L’âge de celle-ci lui donnait un goût particulier, difficile à définir, mais qui plût énormément au chaperon. Elle dégusta tout ce qu’il restait du corps démantelé. Jusqu’au dernier morceau. Le ventre prêt à éclater, la peau de celui-ci tendue, elle s’étendit sur le sol, dans la marre de sang qui s’était agrandie depuis son arrivée. Son chaperon qui était auparavant blanc, se gorgea de sang. Il se teinta d’un beau rouge sanguin - c’est le cas de le dire-.
Après une courte sieste, elle saisit la hache qui lui avait permis son festin et retourna chez elle. Ses parents, la voyant arriver, furent pris d’une vision d’horreur. Leur fille, sa frimousse d’ange pleine de sang, le sourire aux lèvres. Son chaperon empreint de la couleur rouge. Une grande hache salie par le sang, qu’elle brandissait comme un trophée. Ils la regardaient ébahis, les yeux écarquillés.

- Chaperon ? Que s’est-il passé ? Parvint à articuler sa mère avec effroi.
- J’ai tué le loup ! Répondit gaiement l’intéressée, en chantonnant. Il mangeait Mère-grand ! Ensuite pour le punir, je l’ai mangé ! Bien sûr, elle n’en dit pas plus sur la suite de son repas, ayant tout de même le sentiment d’être allée un peu loin.
Ses parents pris d’horreur, l’attrapèrent et lui lièrent les mains, les pieds. Ensuite ils l’allongèrent sur la grande table de leur salon. Ils chuchotèrent un long moment ensemble pendant que la jeune fille se débattait vainement. Ils prirent une décision. Alors la mère ramena d’une pièce voisine une grande aiguille et du fil de cuivre très résistant. Tandis que le père maintenait la tête de sa fille pour ne pas qu’elle puisse bouger, la mère lui planta l’aiguille dans la peau, ayant pour projet de lui coudre la bouche. Le chaperon hurla. La mère, affolée par ce qu’elle était en train de faire à la bouche de sa fille, tremblait, ce qui n’améliora pas le rendu de la besogne…
Chaperon était prise de sanglots, les larmes ruisselaient sur son visage meurtri. Elle ne comprenait pas. Elle n’avait fait que le bien ! Tuer le loup ! Ses parents étaient de véritables bourreaux ! Ils allaient lui payer… Lorsque l’ouvrage de la mère fut terminé, le père relâcha son étreinte. Le chaperon s’effondra par terre. Sa hache était près d’elle, sur le sol. Prise d’une bouffée d’adrénaline, son sang ne fit qu’un tour, elle s’empara de l’arme et assassina sauvagement ses parents. Ils n’eurent le temps de réagir, pris d’assaut par la fureur de leur fille. Elle souffrait atrocement. Non pas au cœur mais au visage. Tant pis pour ses parents. Ils l’avaient mérité. Elle savait ce qu’elle allait faire de leurs corps…

Fin

Rouge à lèvres

Il était une fois le rouge vermeil qui s'étale doucement sur la chair rosée des lèvres. Millimètre par millimètre, consciencieusement creux et pleins sont comblés. La bouche se pare d'écarlate, tranchant violemment avec la pâleur lactée de la peau. Chaque soir les mêmes gestes, les mêmes rituels, quotidien rassurant d'une vie de petit rat.
Dans dix minutes, ce sera l'heure de briller, d'éblouir et de faire rêver, mais ses dernières minutes sont consacrées aux ultimes préparatifs, aux dernières finitions : celles du rouge à lèvres.
C'est un peu son porte-bonheur ce rouge à lèvres, son grigri personnel, le seul qui compte réellement. Introuvable dans le commerce, fabriqué par une vieille femme qui les produisait au compte-goutte il y a tant de temps de cela pour quelques rares parfumeries de luxe. La vieille dame continue de le lui faire juste pour elle, parce que seul ce rouge à lèvres possède cet éclat si particulier, cet écarlate si fascinant, ce rouge tellement profond. Ce petit tube de rouge à lèvres renferme tant de secrets qu'il ne peut qu'être magique.
" C'est l'heure, jolie danseuse !"
L'appel de Guylaine est aussi rituelique que le reste, et Julie aime l'entendre même s'il lui est inutile, elle connaît parfaitement le moment où la scène lui appartient.
Les spectateurs applaudissent, plus que quelques secondes avant son entrée sur scène, avant de fouler le vieux parquet de l'Opéra.
Comme chaque soir, elle s'approche de ce miroir déposé dans un angle mort de sa loge, probablement oublié depuis des temps anciens, et embrasse doucement son reflet, pour se porter bonheur. Et par ce simple geste, elle se rend souveraine du moment, et le petit rat de l'Opéra devient une étoile.
Sans plus attendre, elle s'engouffre le long des coulisses et la lumière se fait, en même temps que la musique envoûtante qui l'entraîne loin, ailleurs. Et dans son sillon c'est tout le public, sous le charme, qu'elle emporte avec elle.
Elle fend la foule sans se soucier des corps qui se pressent contre le sien, elle connaît le trajet par coeur, pourrait le réaliser les yeux fermés sans crainte. Elle marche dans ses propres pas, toujours sur le même chemin. Elle remonte tranquillement l'avenue avant de s'arrêter devant l'Opéra qui lui donne l'impression d'être son secret, son trésor personnel. Elle se perd dans sa contemplation, s'imagine virevoltante et tournoyante sur le parquet.
Seule dans sa loge, Julie attend son tour, ce moment où la scène lui appartient, où son corps ne fait qu'un avec la musique. Elle imagine son image cristallisée en une longue série d'arabesques et de sauts, elle pense à ce quadruple tour à l'italienne qui lui a donné tant de mal, à cette série d'entrechats où ses pieds fendent l'air à une vitesse folle. Elle ne rêve que de l'harmonie du corps avec la musique, comme un lien presque trop étroit, étouffant juste ce qu'il faut.
Ce soir encore, elle se prépare avec attention, agrafe sa robe avec soin, coiffe ses cheveux en un chignon lâche et se maquille sobrement mais élégamment : un trait fin de khôl noir autour des yeux, un peu de blush sur les joues. La seule excentricité qu'elle se permet, c'est cette touche de rouge à lèvre qu'elle applique sur sa bouche, précautionneusement, en faisant glisser le bâton sur ses lèvres, comme on se draperait d'un voile de soie. Elle se sent sublimée, prête à danser sans faiblir, sans trembler, sans faux-pas.
Elle embrasse son reflet comme les autres soirs, sans prêter attention à la tâche d'ombre qui apparaît dans le coin en haut à gauche. Julie se détourne bien vite de cet étrange miroir, ne se souciant plus que de l'appel de la scène.
De l'autre côté de la glace, quelque chose s'anime, bouge, enfle et occupe les zones sombres, les recoins noirs et obscurs.
Ce rouge à lèvre, c'est sa force et son châtiment, son trésor et sa damnation. Sans lui, elle n'est plus la danseuse aux lèvres écarlates, elle n'est plus l'étoile qui illumine la scène, mais juste un petit rat qui tremble dans le noir. Accepter ce cadeau, c'est se perdre dans l'ombre, c'est oublier une partie de soi dans les failles et les interstices.
Chaque soir, lorsqu'elle embrasse la glace, c'est un peu d'elle qu'elle oublie de l'autre côté du miroir, des fragments d'elle qui disparaissent, captifs.
Et elle redoute le jour où elle aura perdu trop d'elle pour pouvoir payer son dû, et où son précieux rouge à lèvres lui sera repris.
Elle occulte, elle repousse loin au fond de son ventre cette angoisse de n'être plus, de se dissoudre quelque part entre un bâton de rouge à lèvres et une vieille glace qui traverse le temps.
"Guylaine, Guylaine..."
Guylaine accourt en entendant la voix désespérée de sa danseuse, et quand elle arrive dans la loge, elle la trouve effondrée.
"Guylaine... Mon rouge à lèvres, je ne le retrouve plus..."
La danseuse est dans un état de panique incroyable, elle ne veut pas disparaître, pas maintenant alors que la scène est si grisante et la rend si vivante.
Le rideau ne peut pas se baisser, elle refuse de quitter les lieux, de céder la place.
C'est impossible, il doit bien rester quelque chose d'elle qu'elle doit pouvoir offrir en échange, n'importe quoi : un souvenir, l'écho d'un rire, l'éclat de ses larmes...
Mais déjà, elle sent qu'elle est entrain de se dissoudre, et qu'elle n'a nul part où se réfugier tant son corps est vide.