Me revoilà, avec un Heimdall enfin présentable ! Notre récit peut continuer o/
Ne vous méprenez pas, ces quelques photos n'ont pas été faites exprès pour mettre en avant sa plastique avantageuse même si on ne va pas cracher dessus, mais parce que je n'ai pas encore reçu les pièces qui compléteront sa tenue. Alors, en attendant, "on dira que", hein !
Voici donc la suite du récit, j'espère que vous aurez autant de plaisir à la lire que j'ai eu à l'écrire. Le chapitre suivant est en court de finalisation, je serai plus rapide à poster la suite cette fois-ci
Bonne lecture !
(Je rappelle une nouvelle fois que le texte contient des jurons et des sous-entendus peu subtils (pas encore des insultes d'ancêtres cela dit) et peut ne pas convenir à un très jeune lectorat).
• Tu préfères danser avec les tonneaux ou lutter ? • Le lendemain, Heimdall se réveilla aux sons mêlés des conversations, cris, chicaneries, et bruits de cuisine, qui étaient devenus son réveil quotidien depuis qu’il se trouvait sur les lieux, c’est-à-dire à peu près une semaine. En soupirant, il se redressa sur sa couche, et se cogna aussitôt la tête contre le bois dur qui soutenait la couchette supérieure – ça aussi, ça durait depuis une semaine. Grimaçant et se frottant le crâne, il entendit avec déplaisir Orsk mugir de son rire d’ogre, désagréable et tonitruant.
— Gueule de bois, mon grognard ? Gaffe, le ciel te tombe déjà sur la tête !
— La ferme, Orsk, ou je te t'abîme un peu plus ce qui te sert de muffle.
Nullement impressionné, Orsk continua d’aller et venir en s’habillant, semant derrière lui diverses affaires, dont des choppes vides qui s’entrechoquèrent en roulant sur le sol inégal. Sur une autre couchette, Salsgard soupira, ses longs cheveux gris emmêlés et les yeux encore confits de sommeil. Sur la couchette inférieure, Dhün s’éveillait aussi.
— Il est quelle heure ?
— L’heure de se remuer ! tonna Orsk, décidément de très bonne humeur. Avec un peu de chance, ce sera le dernier jour d’attente, et les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer.
Alors qu’Heimdall s’asseyait sur sa couche, la tête à l’envers de Brâm entra soudain dans son champ de vision, lorsque l’autre guerrier se pencha depuis le haut de sa couchette superposée – sans doute réveillé par le choc de la tête d’Heimdall contre elle, et du rire qui en avait suivi.
— Putain, ce bouffe-fiente a descendu je ne sais combien de litres hier soir, et r’garde-le frétiller comme un gardon de bon matin. J’vais l’achever avant que la Traque ne commence, marmonna-t-il.
— Ne le prend pas mal, mais si vous vous colletez tous les deux, je ne parierai pas sur toi, répliqua Heimdall, amusé.
— Faux-frère !
Avec un petit rire, Heimdall se leva, s’étira, et jeta un coup d’œil à la petite fenêtre aux vitres crasseuses près de son lit. Le temps s’annonçait aussi maussade que la veille, et il espéra qu’Orsk avait raison ; l’attente avait assez duré.
— Alors, finalement ? La rouquine, ça a donné quoi ? s’enquit Orsk, qui avait finit de s’équiper, doublant presque sa masse déjà fort imposante avec toutes ses couches de fourrure superposées.
— Rien du tout, bâilla Heimdall en se mettant en quête de ses bottes. Aussi incroyable que ça puisse te paraître, j’ai voulu l’aider sans aucune arrière-pensée.
— Le prend pas mal, mon grognard, mais des fois j’me demande si t’es pas un peu cabossé de la citrouille. Ou raccourci un peu plus bas, si tu vois c’que j’veux dire.
— Je le vois très bien, et je me passerai volontiers de ta poésie matinale, grogna Heimdall.
— J’crois pas qu’il connaisse la poésie, tu sais, marmotta Salsgard depuis l’autre bout du baraquement.
— J’vous emmerde, avec vos mots en « P » ! brailla joyeusement Orsk avant de sortir en claquant la porte, laissant dans son sillage un fumet rance d’alcool et de vieille sueur.
— Quel fils de troll, soupira Salsgard. J’me demande si je ne vais pas demander à changer de baraquement.
— Arrête de pleurnicher. On est tous logés à la même enseigne, et les demandes de changement, c’est valable qu’en cas de tentative de meurtre sérieuse, fit Brâm en descendant de son lit.
— Alors, j’vais peut-être tenter sérieusement de le tuer.
— C’est ça ! En attendant, bouge, si tu veux qu’il te reste encore quelque chose à becter avant qu’Orsk et tous les autres trolls de son genre n’aient fini de manger.
Frissonnant sous sa fourrure, Heimdall s’était rassemblé avec les autres devant l’un des grands feux, un bol de ragoût fumant dans ses larges mains. Pas le meilleur qu’il ait mangé, loin de là, mais ce serait suffisant pour le réchauffer et lui tenir au corps jusqu’au prochain repas. A ses côtés, Dhün mâchonnait un bout de pain en regardant devant lui, les yeux dans le lointain, comme d’habitude étranger à toute l’agitation autour de lui. Et pourtant, de l’agitation, il y en avait ; elle n’avait pas encore atteint son point culminant, le jour étant encore jeune, mais il y avait déjà de quoi avoir envie de se boucher les oreilles. Dès qu’il était sorti, Heimdall était allé s’enquérir des nouvelles arrivées, mais Chimère restait la dernière pour le moment. La grogne était générale ; il manquait peu de monde, mais on ne pouvait tout simplement pas commencer sans eux. Alors, on attendait, et on sautait sur la moindre occasion de se pouiller avec son voisin, pour évacuer un peu de frustration. Outre l’ennui, une attente interminable nuisait à la bonne cohésion des hommes et des femmes ici présents pour un seul but, et c’était particulièrement ce dernier point qui chagrinait Heimdall. Les guerriers n’étaient jamais plus soudés entre eux qu’au moment de faire front commun contre un adversaire, quel qu’il soit, et ce depuis la nuit des temps.
Il en était là dans ses pensées, lorsqu’un éclat roux attira son œil ; Chimère venait d’apparaître à son côté, l’air nettement moins crispé que la veille. Dans la lumière matinale, Heimdall put réellement la distinguer telle qu’elle était ; pas très grande, avec des formes prononcées qui dénonçaient une musculature déjà bien esquissée malgré son âge. Dix-neuf, vingt ans ? Seul son visage avait conservé une infime trace de ses années d’enfance, adoucissant son expression malgré ses regards volontaires et les quelques cicatrices qui le zébraient déjà, tout comme ses bras, ses mains. Pas assez grosses, pas assez laides pour faire preuve de quelques combats héroïques ou de rencontres prématurées avec la mort qui se seraient soldées par un ex-æquo, mais la jeune femme avait déjà roulé sa bosse. En somme, elle ressemblait beaucoup à toutes les autres femmes présentes ici, seuls le roux de sa chevelure et la multitude des taches de son qui piquetaient son visage, sa gorge et ses épaules la distinguant un peu. Elle était vêtue d’une armure toute féminine – le genre d’armure qui savait préserver l’identité et les courbes de sa propriétaire, tout en faisant le boulot. Il y a un siècle encore, ce genre d’amure n’existait pas, les femmes maniant les armes se retrouvant empaquetées dans le même fourbi que leurs homologues masculins, ce qui les rendaient indissociables dans le chaos de la mêlée, ou même simplement de loin. Aujourd’hui, les armures conservaient leur qualité première de carapace protectrice, mais tendaient de plus en plus à refléter l’identité du porteur. Même un guerrier pouvait se montrer un brin coquet – encore qu’il s’agissait là d’une coquetterie toute particulière et souvent très brouillonne. Quoiqu’il en soit, Heimdall ne put se rendre qu’à l’évidence que l’armure de Chimère soulignait parfaitement ses formes, et il se prit à espérer que Orsk aurait suffisamment de cervelle pour ne pas le gueuler dans tout le camp si d’aventure, il s’en rendait compte aussi.
— Salut, fit Chimère en s’asseyant près de lui. Bonne nuit ?
— Je ne dirai pas ça, mais au moins, j’ai dormi. Et toi ?
— Je n’ai pas à me plaindre. Les sœurs ont été très accueillantes et m’ont bien rafistolée. La nuit a été calme.
— Alors, tant mieux. Il aurait été dommage que tu sois en trop mauvais état pour participer.
— Pour ne pas être de la fête, la seule excuse valable, c’est de calancher !
Heimdall eut un petit sourire en coin, et termina son bol. Quand la fougue de la jeunesse cessait-elle vraiment de tout brûler sur son passage, pour devenir un peu plus raisonnable, juste un peu, différenciant le jeune chien fou du molosse plus réfléchi ? Il n’était pas plus vieux qu’elle de beaucoup, allant sur ses vingt-cinq hivers. Et pourtant, sa fougue à lui avait déjà mué, toujours bien présente et explosive au cœur de l’action, mais plus discrète, plus pondérée, le reste du temps.
— Impatiente, je présume ?
— Tu présumes bien. Même si…
Chimère s’agita un peu sur son rondin, mal à l’aise.
— … Même si c’est différent de ce que ça aurait dû être. Si mes sœurs, celles de la Flamboyante, avaient été là avec moi, comme prévu.
Heimdall inclina la tête.
— Je comprends ça. Perdre des frères et des sœurs d’armes, surtout la première fois, c’est dur.
Chimère acquiesça, le visage sombre, et Heimdall tenta une question, sentant alors près de lui, Dhün se redresser pour tendre l’oreille, l’air de rien.
— Ces ours qui vous ont attaquées… Est-ce que c’était de vrais ours ? Je veux dire… Est-ce que tu as remarqué quoique ce soit d’étrange ?
— Pas vraiment eu le temps de penser à autre chose qu’à sauver ma couenne, répliqua Chimère, acide.
— Quand tu les as tués, tu n’as rien vu ? Il ne s’est rien passé ?
— Je ne sais pas. Je ne suis pas restée sur place, je n’ai pas pris le temps de vérifier s’ils étaient bien refroidis, j’ai eu peur d’en voir d’autres arriver. Mais comme je n’ai pas été suivie, je suppose que j’ai bien fait le boulot.
Heimdall échangea un regard avec Dhün, qui haussa les épaules. Surprenant leur échange, Chimère demanda :
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Eh bien… Ce n’est qu’une supposition, et je te demanderai de la garder pour toi. Je peux te faire confiance là-dessus ?
Chimère acquiesça et cracha par terre.
— J’ai pensé à des change-peaux. Parce que, si on y réfléchit un peu, se faire sauter dessus comme ça par des ours à ce moment de l’année, alors qu’on avait déjà dégagé le périmètre, et en plus des ours en groupe… Vraiment, ça m’a paru étrange. D’autres gars ont croisé un ours en venant, mais il s’est simplement contenté de fourrer sa truffe dans leurs réserves sans les approcher plus que ça.
La jeune femme fronça les sourcils, et réfléchit, portant la main à son visage pour lisser du doigt la cicatrice de son arcade sourcilière, geste qui semblait issu de l’habitude.
— Je ne sais pas. Je n’ai jamais rencontré de change-peaux, je connais que ce que l’on raconte sur eux, rien de plus. Tout ce que je peux dire, c’est que ces ours étaient grands. Très grands. Surtout un énorme, tout noir. Je dirai… Douze, peut-être même treize pieds* de haut, lorsqu’il s’est dressé sur ses pattes postérieures ? Je n’avais jamais vu une bestiole pareille.
— Un ours noir géant, hein ? Avec une sale trogne en plus, même pour un ours ?
C’était Dhün qui avait parlé, et Chimère acquiesça, la mine sombre.
— C’est lui qui a… Décapité Syenna. Mais lui, je ne l’ai pas tué.
Voyant que les deux hommes la dévisageaient, elle ajouta :
— Il y avait trois ours, j’en ai tué deux. L’un de ceux-là avait déjà été salement amoché par mes sœurs avant qu’ils n’en viennent à bout. Le noir, il a simplement… Disparu. Quand j’ai tué le deuxième et que je me suis retournée, il n’était plus là. Je n’ai pas attendu qu’il revienne, et j’ai déguerpi. Je n’ai même pas osé revenir voir les corps de mes sœurs.
— Tu as fait ce qu’il fallait pour sauver ta vie. Tu n’aurais pas été plus utile à tes sœurs en prenant le risque de les rejoindre, dit Heimdall.
— Nous ferons une offrande pour le repos de leur âme, ajouta doucement Dhün, avant de s’éloigner, laissant peu de doute à Heimdall sur sa destination. Le regardant partir, Chimère demanda :
— Vous connaissez cet ours ?
— Vaguement, fit Heimdall, évasif. C’est peut-être le gros mâle qui a été aperçu il y a deux saisons de ça, qui a dû revenir dans la région. Quoiqu’il en soit, je suis navré pour tes sœurs. Tu pourras leur rendre hommage au cours des festivités. Enfin, si tu en ressens le besoin. Tu avais l’air assez remontée contre elles en arrivant, hier soir.
— Et je l’étais, s’exclama rageusement Chimère. J’étais la seule à être contre la décision de Syenna de planter le camp à cet endroit, qui me semblait trop peu sûr et surtout sans aucune visibilité en cas de pépin. Elles m’ont ri au nez, en arguant que les anciens avaient dû dégager largement le périmètre pour permettre à tout le monde de voyager en toute tranquillité dans la zone. Je voulais qu’on avance encore, qu’on puisse arriver plus tôt et sans risque, même en pleine nuit. Elles voulaient absolument arriver le lendemain, en pleine lumière et à leur avantage, et pas « comme des voleuses ou des timides ». Alors oui, je leur en veux. Foutues connes. Mais c’était quand même mes sœurs.
— Je comprends ça… fit doucement Heimdall. L’orgueil est un ennemi pour le guerrier, parfois même plus féroce que n’importe quel monstre. Plus d’un a été mené à sa perte à cause de ce défaut. Je te souhaite un deuil calme, qui t’en laissera apaisée.
— Plus tard, le deuil, marmonna Chimère. J’ai besoin de toute ma tête et de toutes mes tripes pour bien fonctionner.
Heimdall se sentit sourire.
— C’est vrai. Mais aussi d’une bonne humeur. Allons donc assister à quelques jeux, ils devraient y remédier.
— Des jeux ? demanda Chimère en lui emboîtant le pas. Je croyais qu’ils n’avaient lieu que pendant les festivités, à la fin.
— Tout à fait, mais là, ce sont des jeux pour passer le temps. Tu ne peux raisonnablement pas demander à des dizaines et des dizaines de guerriers de patienter sagement et sans un bruit durant des jours, n’est-ce pas ?
— Pas sans quelques morts, en tout cas.
— Parfaitement.
Heimdall mena Chimère dans le grand champ au-delà de celui abritant les baraquements des hommes, où plusieurs espaces avaient été grossièrement délimités, un pour chaque activité. Il y avait déjà quelques lutteurs en action, ainsi que des concurrents au tir à l’arc. Mais le plus vaste espace, tout au bout du champ, avait été réservé à…
— Du lancer de tonneaux ? s’étonna Chimère, regardant quelques solides gaillards très enthousiastes lancer à bout de bras de lourds tonneaux, non sans exécuter quelques figures plus ou moins gracieuses.
— La Danse du Tonneau, rectifia Heimdall. Très en vogue par ici. Le principe est simple ; il faut lancer des tonneaux, de taille variable et lestés de cailloux - ou parfois même, de pauvres âmes qui ont perdu un pari quelconque – le plus loin possible, tout en exécutant une ou plusieurs figure tandis qu’on le lance. Les juges accordent une note sur la grâce des figures, la distance parcourue par le tonneau, et la taille de celui-ci. A chaque manche, le concurrent le moins bien noté doit boire une choppe de bière – et les juges qui ont accordé deux notes identiques au même moment l’accompagnent. La partie se termine lorsque les tonneaux de bière sont vides, ou les concurrents – ou le jury - trop soûls pour continuer.
— C’est… Passablement stupide.
— Et c’est exactement pourquoi c’est si divertissant.
— Il faut avoir une force considérable pour jouer à ce jeu, non ?
— Tout à fait, ce qui explique pourquoi les concurrents tiennent assez bien l’alcool en général. On a vu des parties durer un jour entier.
— Ce n’est pas un peu trop dangereux ?
— Un jeu sans danger n’est pas populaire par ici. Et puis, ça offre l’avantage de vider trois fois plus vite les réserves d’alcool, afin que tout le monde puisse rester enfin sobre dans les prochains jours.
Heimdall et Chimère observèrent donc trois gigantesques guerriers se saisir chacun des plus gros tonneaux, les soupesant avant de lancer chacun leur tour, visant au-delà de la clôture du champ. De l’autre côté, quelques hommes et femmes étaient chargés de planter des piquets peints de couleurs vives à l’emplacement exact où les projectiles touchaient le sol. Heimdall observa avec amusement Chimère, incrédule, regarder des guerriers faisant deux fois sa taille tournoyer sur eux-mêmes, faire des sauts de chat ou encore claquer des talons en se tortillant avant de lancer leurs tonneaux, sous les encouragement et éclats de rire des spectateurs. Le jury, composé de trois autres guerriers dont une femme, qui hurlait le plus fort, semblait déjà passablement éméché.
— C’est… C’est ridicule ! pouffa Chimère.
— Mais très drôle.
Ils regardèrent ensuite le jury lever leurs mains pour accorder les notes, qui ne pouvaient aller au-delà de dix. L’un des hommes dut s’y reprendre à deux fois pour correctement compter sur ses doigts, tant il était aviné ; le perdant désigné de la manche s’empressa de boire une choppe supplémentaire, avec un enthousiasme suspect.
— Est-ce qu’il a fait exprès de perdre pour boire encore ?
— C’est possible, mais vu que le grand perdant est lui-même mis dans un tonneau et envoyé dévaler une pente à la fin du jeu, c’est à ses risques et périls.
Chimère esquissa une moue dubitative, les bras croisés, en regardant le jeu se poursuivre.
— Tu as l’air… Perplexe.
— Eh bien… Je m’attendais à… Comment dire… Un peu plus de sérieux ? Pour le moment, j’ai l’impression de…
— … Voir une troupe de sangliers mal dégrossis mettre une joyeuse pagaille, compléta Heimdall. Oui, je comprends, et c’est un peu ça. Nous passons pour des rustres et des barbares aux yeux de tous les autres royaumes, alors, autant être à la hauteur de notre réputation, n’est-ce pas ?
— Il ne s’agit que de ça ?
— Non, bien sûr. Comme je te l’ai dit, l’attente pèse, et c’est l’un des événements les plus importants de l’année. Les guerriers qui viennent ici sont remontés à bloc, impatients d’en découdre à la sortie de l’hiver, et surtout à se payer une tranche de bon temps, avant et après les choses sérieuses. Tu as là des représentants des peuplades les plus féroces du monde connu, des combattants valeureux, certains étant même légendaires, à qui on demande beaucoup toute l’année ; plus tu attends de grandes choses d’un homme ou d’une femme, plus tu dois lui permettre de relâcher la pression de manière… Assez spectaculaire aussi. Ce lieu est absout de certaines règles le temps des festivités.
Voyant que Chimère hésitait à se laisser convaincre, Heimdall ajouta avec un sourire :
— Même les légendes ne peuvent adopter un comportement irréprochable chaque jour que les Dieux font. Aldrof Main-Leste lui-même est l’un des grands champions de la Danse tu Tonneau, sais-tu ?
—
Le Aldrof ?
— Parfaitement. Son coup spécial, qui consiste à assommer le jury avec un tonneau bien chargé en fin de partie, est très apprécié du public.
Chimère leva les yeux au ciel, et Heimdall rit sous cape. Lui aussi, durant son premier séjour, s’était attendu à voir des héros à la hauteur de leur légende, qui jamais ne se disputaient ou même ne lâchaient un pet ; lui aussi avait été quelque peu déçu, avant que l’esprit de camaraderie ne prenne le dessus, et qu’il ne commence à se forger quelques souvenirs inoubliables.
— Que dirais-tu d’un peu de lutte ? Voilà un jeu qui reste traditionnel, même s’il ne faut pas avoir peur de quelques coups bas. Enfin... Si ta blessure de la veille le permet.
La jeune femme se retourna pour observer le coin dédié aux lutteurs, qui voyait justement un affrontement entre deux guerrières s’achever, les femmes échangeant une vigoureuse accolade avant de sortir du cercle en signe de bonne entente.
— Pourquoi pas ? Ma blessure est superficielle, et les combats peuvent être mixes, n’est-ce pas ?
— Bien sûr. Je te l’ai dit, tout le monde ici est logé à la même enseigne. Hormis dans les baraquements la nuit, hommes et femmes sont mélangés sans distinction.
— Oui, tu me l’as dit… Mais j’ai traversé quelques contrées très loin de partager ce point de vue avant de venir, j’ai donc un peu de mal à réaliser… Ma partie d’origine elle-même a encore quelques progrès à faire.
Heimdall se frotta le menton.
— Les Terres Calcinées, hein ? Je n’y ai jamais mis les pieds, mais sachant que la Flamboyante est l’une de leurs troupes d’élite, uniquement composée de femmes…
— La seule à l’être, c’est certain, fit Chimère avec aigreur. C’est un droit qui a été gagné il y a cent ans, ce qui reste bien jeune. Cette compagnie est une exception et, hormis les femmes qui la composent, jamais tu ne verras une autre femme portant les armes dans les Terres, hormis si c’est une étrangère. Et nous, les femmes de la Flamboyante, nous sommes autant des objets de crainte que de railleries, ça dépend des coins. Rien n’est mixte, chez moi. Alors que notre plus proche voisin, lui, est aussi permissif que vous…
— Le progrès ne frappe pas à toutes les portes en même temps, c’est vrai. Mais la Flamboyante pourrait être le vaisseau de ce progrès, chez toi.
— Je ne t’ai pas attendu pour avoir la même pensée.
Heimdall leva les mains en signe de reddition, et Chimère lui adressa un fin sourire avant de rebrousser chemin vers le cercle de lutte. L’arbitre qui officiait en cette matinée, un petit homme courtaud mais à la musculature saillante, quitta le rondin qu’il avait choisi pour siège à leur approche.
— Bien le bonjour ! Vous êtes volontaires ?
— Exact, répondit Chimère.
— Toi contre lui ?
— Oui. Sauf si tu y vois un inconvénient ? demanda Chimère, un brin railleuse, en se tournant vers Heimdall.
— Je ne vois aucun inconvénient, seulement une adversaire à l’air motivé.
Chimère eut un rire bref, et entreprit de se délester d’une partie de son armure, ne gardant que ce qui couvrait son buste et ses hanches, laissant bras, mains, jambes et pieds à nus, comme le voulait la règle. Elle s’affaira également à rassembler ses cheveux en une longue natte cuivrée, tandis qu’Heimdall faisait de même et abandonnait ses vêtements à l’exception de son haut-de-chausse, frissonnant un peu dans le froid piquant. Les deux combattants furent rapidement enduits de graisse d’ours, qui les protégerait du froid et rendrait les prises plus difficiles, et on leur tendit de quoi se bander les mains. Heimdall et Chimère s’acquittèrent de cette tache avec rapidité, alors que le public se rassemblait autour d’eux, accoudé aux barrières ou assis sur d’autres rondins, laissant un espace parfaitement dégagé autour du cercle de lutte. Heimdall devina que leur intérêt soudain devait majoritairement découler de celui que suscitait Chimère ; les circonstances de son arrivée avaient dû faire le tour du camp à présent, et elle était éminemment reconnaissable de par la couleur de ses cheveux.
Une fois prêts, les deux adversaires prirent place dans le cercle tracé à la chaux, face à face. Solidement campé sur ses jambes, Heimdall étudia pensivement son adversaire ; il convenait bien entendu de ne pas se donner trop sévèrement contre un jeune, qui souvent y allait trop fort, absolument désireux de briller pour sa première fois ici. Fille comme garçon, d’ailleurs. Pourtant, il doutait que l’air bravache de Chimère ne soit qu’une façade, la façon dont elle avait eu de bander ses mains avec dextérité lui mettant la puce à l’oreille.
— Elle a envie de te bouffer tout cru, fit la voix de Dhün dans son dos, amusé. Elle a dû juger que tu avais un gabarit acceptable pour représenter un trophée de choix.
— Je ne la laisserai pas gagner par complaisance, elle m’arracherait la gorge.
— Peut-être que tu ne pourras même pas gagner, susurra Dhün. Bonne chance, mon frère !
Après avoir laissé un court temps pour que puisse se faire les paris, l’arbitre donna le signal, et Heimdall se retrouva à tourner lentement dans le cercle avec Chimère, soutenant son regard. Lui-même s’était frotté à des guerriers plus expérimentés que lui à son arrivée, mais jusqu’ici, il n’avait affronté aucun jeune. Au moins, le mystère était égal des deux côtés ; ni l’un ni l’autre ne savait ce que valait son adversaire au combat.
Leste comme une anguille, Chimère tenta une feinte, mais Heimdall n’eut pas de mal à la contrer, et elle recula d’une foulée souple, continuant de tourner dans le cercle. Durant le bref moment où il avait eu à l’empoigner, Heimdall avait pu juger qu’elle ne pesait pas très lourd, mais il avait bien senti la musculature développée et alerte sous sa peau. Il estima qu’elle était sans doute bien plus rapide que lui, mais il avait l’avantage du poids. Les deux adversaires continuèrent à tournoyer lentement, sous les encouragements et les remarques qui fusaient du public. Heimdall les relégua à l’arrière-plan, concentré. Il était plus habitué à mener l’offensive lui-même, mais ne connaissant pas du tout son adversaire, il préféra lui laisser prendre l’initiative, afin de pouvoir moduler ensuite son attaque. Heimdall n’était pas un titan, mais il avait une force non négligeable dans les bras, et n’étant pas familier des affrontements contre des femmes ou des garçons aussi jeunes, il préférait éviter de commettre un impair. Cependant, ladite jeune femme ne semblait aucunement inquiète et se rua de nouveau sur lui, cherchant à lui faucher les jambes, ayant elle aussi fait le ratio poids-vitesse de leurs forces respectives. Heimdall chancela un peu, mais il pivota sur sa jambe et attrapa Chimère, la soulevant dans le but de la rejeter plus loin. Elle le surprit en crochetant son cou avec ses jambes, rendues glissantes par la graisse dont ils avaient été enduits ; d’une vigoureuse torsion du bassin, elle l’entraîna à terre, roulant sur elle-même au dernier moment pour éviter de se retrouver coincée sous lui. Heimdall s’abattit comme un tronc d’arbre, alors que l’arbitre sifflait la fin de la première des trois manches. Le jeune homme se passa une main autour de la nuque avec une légère grimace, sous les vivats mêlés de quolibets du public. Chimère s’était relevée et reprenait son souffle en arpentant le cercle, nul trace de triomphe sur le visage ; concentrée, elle savourerait son coup magistral plus tard.
Beau joueur, Heimdall lui adressa un petit signe de tête appréciateur, et se releva d’un bond leste. Il reconnaissait sans mal avoir péché par orgueil ; Chimère voulait en découdre, mais elle était loin d’être dénuée d’atouts. Retenir sa force ne serait peut-être finalement pas de mise.
Les deux adversaires reprirent leur marche prudente, se tournant de nouveau autour. Cette fois, Heimdall se rua sur Chimère sans aucun signe précurseur, enroulant un bras autour de sa taille tandis que l’autre bloquait les siens dans son dos au niveau des poignets, la soulevant une nouvelle fois de terre. Dos à lui, elle ne pouvait réitérer la manœuvre qui avait prit Heimdall en défaut, et elle en siffla de colère. Alors qu’elle essayait d’échapper à son emprise, ce qu’elle ne tarderait pas à faire, la graisse l’y aidant, Heimdall utilisa son élan pour la faire brusquement passer par-dessus son épaule. Elle se reçut sur ses pieds après une torsion des reins mais il ne lui laissa pas de répit, fondant sur elle et l’empoignant pour la projeter hors du cercle, mettant fin à la seconde manche en sa faveur. Elle lui adressa un regard furibond, ne goûtant guère la manœuvre qui lui avait bloqué les poignets dans le dos ; Heimdall lui adressa un clin d’œil. Ne lui avait-il pas dit qu’il fallait s’attendre à quelques coups bas ?
Sous les yeux d’un public fébrile et bruyant, Chimère réintégra le cercle, observant froidement Heimdall en plissant les yeux. C’était la dernière manche, et il devina sans peine son désir de l’emporter. Avec détachement, il reprit sa marche, lui tournant autour. Elle se rua sur lui sans crier gare, lui offrant une parade trop aisée pour qu’il ne s’agisse pas d’un piège. Heimdall ne chercha donc pas à l’empoigner et préféra reculer, les bras levés devant lui. Bien mal lui en prit ; la jeune femme avait misé sur cette réaction. Elle bondit pour le percuter frontalement, ne cherchant pas à l’abattre, sachant qu’il était trop lourd pour elle, ainsi campé solidement sur ses jambes. Surpris, Heimdall chercha par réflexe à l’agripper, mais la sournoise se glissa dans son dos, ses jambes de nouveau nouées autour de lui, au niveau de ses reins, et un bras passé en travers de sa gorge, lui maintenant la tête en l’air de force. Heimdall n’avait que peu de choix ; tenter de la déloger en se projetant au sol, alors qu’elle n’attendait visiblement que ça, et risquer de la laisser s’en tirer alors que lui chuterait de tout son long, que ce soit en arrière ou face contre terre. Ou bien tenter de la déloger de son perchoir, alors qu’elle y était arrimée aussi sûrement qu’une tique énervée sur le dos d’un cabot.
Avec un grondement sourd, Heimdall se pencha brusquement en avant, secouant Chimère qui glissa un peu. La lutte tournait à la farce, mais il espéra qu’elle s’amusait autant que lui. Se redressant violemment pour la secouer plus encore et prendre son élan, il s’élança vers le sol pour faire une roulade, ne laissant d’autre choix à son adversaire que d’abandonner précipitamment son perchoir. Elle fut sur lui alors qu’il ne s’était pas encore relevé, et Heimdall agrippa sa jambe pour la déséquilibrer. Elle tomba sur lui, surprise, et tout deux roulèrent dans la poussière en luttant pour prendre l’avantage, grondant comme des ours. Finalement, l’arbitre siffla la fin de la manche, hilare. Heimdall et Chimère s’immobilisèrent, surpris, dans un enchevêtrement de membres glissants et couverts de terre.
— On dirait que nous avons une égalité ! rugit l’arbitre. Que les Dieux m’en soient témoins, en voilà une surprise !
— C’est pas une égalité, c’est des préliminaires ! hurla un anonyme dans la foule, aussitôt salué par de grands rires.
Amusé, Heimdall se releva et se pencha pour tendre une main à Chimère, qui l’attrapa… Pour le tirer violemment à terre, se relevant ensuite avec un sourire satisfait. Les rires fusèrent de plus belle, et l’arbitre lui agita un doigt faussement réprobateur sous le nez.
— Ça reste tout de même une égalité, jeune fille !
Heimdall rit et se releva avant de s’étirer, crachant un peu de terre au passage. Chimère était tout aussi reluisante que lui et le toisait d’un regard amusé, sans trace de reproche. Les deux adversaires se serrèrent vigoureusement la main sous les commentaires du public.
— Tu es preste comme une murène. Et tout aussi sournoise !
— Je prends ça comme un compliment.
— Ça l’est. C’est quand tu veux, pour une seconde fois, qu’on puisse enfin se départager.
— Ne sois pas trop impatient de perdre pour de bon.
Heimdall partit d’un grand rire, alors qu’une vive agitation se faisait soudainement entendre à l’autre bout du camp. Le jeune homme vit Arik fendre la foule et venir vers eux, avec un large sourire.
— Ces connards des Marches sont enfin arrivés ! Les choses sérieuses vont commencer !
Heimdall se hissa sur la pointe des pieds pour jeter un œil, et grimaça en apercevant l’éclat d’une chevelure d’un blond très pâle, au loin.
— Le prince est dans le lot, je présume ?
— Tu présumes bien. Et il m’a l’air encore plus pédant qu’avant – si seulement c’est possible !
*Environ quatre mètres.
A suivre...
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