Extrait du chapitre 6 de « Traité de vulgarisation d’histoire de la robotique », publié en 2057I. Contexte
En 1950, un mathématicien britannique donna son patronyme au « test de Turing », test supposé mesurer l’Intelligence Artificielle d’une machine en la confrontant par le dialogue à un être humain. Selon Turing, dès lors qu’une tierce personne se verrait dans l’incapacité de distinguer -d’après l’échange textuel entre le deux partis- le Robot de l’Homme, on pourrait alors considérer que la machine aurait atteint une apparence sémantique humaine.
Ce ne fut qu’en 2036, cependant, qu’un programme triompha du test de Turing.
En effet, ce fut en 2036 que l’entreprise de robotique Américaine « Memoria » lança son premier modèle d’automates, l’Infra-Luna. Celui-ci fut baptisé ainsi en référence à la théorie de la division des mondes d’Aristote : d’un côté, le monde supra-lunaire, situé au-dessus de la Lune, où la matière serait parfaite et immuable. De l’autre, le monde infra-lunaire, s’étendant sous l’orbite de la Lune, et où la matière serait instable, mouvante et contingente. Instables, mouvants, contingents : c’était en effet ainsi que l’on pouvait caractériser les IL, et pour cause, ils étaient dotés d’un programme d’apprentissage extrêmement détaillé qui leur permettait de développer un mimétisme parfait et pouvaient être déterminés à loisir par leur propriétaire.
Ceux-ci avaient été conçus dans un unique but : ils étaient présentés, pour reprendre les termes d'un spot publicitaire diffusé à l'époque (cf vidéo en fin de manuel) comme un « baume au cœur », autrement dit, les remplaçants d’êtres chers qui avaient disparu. L’utilisateur particulier avait ainsi la possibilité de paramétrer son IL en entrant dans une base de données que l’on pourrait qualifier de « mémoire » des informations biographiques et psychologiques extrêmement précises au sujet de la personne disparue. Fort de ces éléments et d’une architecture cognitive particulièrement développée, l’automate pouvait adopter une attitude proche de celle de l’être que l’on cherchait à remplacer. Cet aspect du programme lui-même était déjà controversé, mais ce ne fut rien en contraste avec ce qui suivit :
Comme il fallait s’y attendre, les déviances liées aux IL se manifestèrent dès leur commercialisation. Certains tentèrent, en imaginant des réponses aux questions posées par la « mémoire » des automates, de créer des êtres parfaits: cela donna lieu à d'importants débats parmi les philosophes (cf notes en fin de manuel), mais ce ne fut qu’un bien moindre mal par rapport à ceux qui manipulaient ces mêmes réponses afin de faire de leurs machines des sociopathes violents à même d’exécuter pour eux les plus sales besognes.
C’est ainsi que le cas des IL finit par être traité à la cour. D’aucun préconisaient l’arrêt pur et simple de la production des IL et la destruction des exemplaires mis en circulation. Pourtant, le profit réalisé par la société de robotique était trop immense pour qu’elle rende les armes si rapidement. Aussi, dans une série de procès désormais connus dans l’histoire de la robotique sous le nom de « the Memoria trials », les deux partis tentèrent de déterminer de quelle manière ces automates se devaient d’être programmés afin de ne plus présenter aucun danger pour la société et surtout, s’il était une bonne chose que la frontière qui jusque là avait séparé l’être humain de la machine se trouve ainsi remise en cause.
Parmi ces procès, le plus connu fut sans aucun doute celui qui entoura la psychanalyse d’un IL par le psychologue français Sergei Absolon.
II. De la Psychanalyse des machines
Révolutionnaire dans l’histoire de l’Intelligence Artificielle car impliquant pour la première fois la psychanalyse d’un robot par un être humain, l’étude de Sergei Absolon fascina les foules. Le but premier de cette série de conversations et d’expériences, dont vous trouverez le récit détaillé dans la suite manuel, fut de vérifier si l’Infra-Luna était bien pourvu d’un programme par essence totalement neutre et objectif, autrement dit, si seule l’influence humaine pouvait faire de lui ce que l’on qualifierait comme un « être mauvais ».
Pour ce faire, Memoria accepta de produire un exemplaire unique d’IL destiné exclusivement à l’usage du psychologue : contrairement aux autres, il ne possédait aucun système de mémoire, et était donc aussi proche que possible de ce que l’on pourrait nommer « l’état de nature » de ces robots. Afin de s’éviter de s’attacher à l’IL dont la physionomie lui rappelait étrangement sa petite fille (à noter que l’on soupçonne Memoria d’avoir volontairement recherché cette ressemblance pour influencer le verdict du scientifique), Absolon la baptisa sobrement « L’Automate ». Pour les mêmes raisons, l’entreprise fut contrainte de modifier légèrement l’apparence de son produit. C’est pourquoi L’Automate, contrairement aux autres IL, n’est pas entièrement anthropomorphe. Des parties de la membrane souple supposée donner l’illusion d’une peau humaine furent retirées au niveau de son visage et de ses membres, ne laissant à personne le loisir d’oublier sa nature bionique.
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