Elles avaient l'air de personnes normales, des personnes de mon âge sans histoire.
Qu'est-ce qui m'avait attirée, alors ?
C'est parce que je sentais qu'elles avaient chacune un secret. Le genre de secret pas terrifiant, pas vraiment grave, mais qui pèse quand même trop lourd. Qui arrive petit à petit à nous définir, au final.
Les gens pensent trop souvent qu'un secret, ça doit se taire pour ne pas être éventé.
Faux.
Les silences et les mensonges sont suspects, surtout quand c'est NOTRE secret.
Un secret ne sera pas mieux caché qu'en plein dans une vérité, une vérité si banale et habituelle que personne n'ira jamais la remettre en question.
Un peu comme les gens qui rient tout le temps, pour ne pas qu'on voie qu'au fond, ils sont désespérément seuls.
Personne n'ira jamais creuser dans le carré de pelouse bien entretenu, où des projecteurs sont braqués dessus.
Parce que les secrets, tout le monde s'attend à les trouver dans les coins sales, sombres et reculés.
Et ces filles étaient comme moi ; elles l'avaient compris.
Il y avait Taylor, qui jouait à la parfaite demoiselle en parlant un peu trop de garçons, et qui était toujours tirée à quatre épingles.
Personne ne l'aurait jamais imaginé être autre chose que miss-parfaite.
Pourtant, je les voyais, moi, les trous supplémentaires de piercings que personne ne remarquait, et ses regards un peu trop longs sur les autres filles.
Il y avait Atalante, qui se présentait toujours en disant qu'elle était égyptienne, et que bientôt, elle retournerait "là-bas", avec une once de fierté dans la voix.
Alors qu'elle savait très bien qu'elle n'y retournerait jamais.
Et puis, il y avait moi.
Moi qui avait tellement rêvé d'être l'une de "ces filles", ces espèces de princesses-extraterrestres absolument impeccables et pailletées, à toute heure de la journée. Avant de finalement comprendre que ça ne pourrait jamais marcher, et qu'en fille, j'étais juste pas crédible.
Je me souviens bien du jour où j'ai constaté que le genre de filles qui riaient habituellement du vilain petit canard que j'étais, le vilain petit canard qui se battait contre de plus gros que lui, qui jurait et qui jouait les casse-cou, m'appréciaient sincèrement quand elles croyaient que j'étais un garçon. Un garçon maigrichon et pas viril, mais un garçon un peu canaille, qui les comprenait tellement bien.
Et c'est devenu mon secret.
Est-ce qu'il me pesait ? Oui, je crois bien.
Mais j'aimais tellement ça, allumer l'étincelle de l'intérêt dans leurs beaux yeux de biche.
J'aurai tout fait pour leur plaire.
Et si c'était "Sam" qui leur plaisait...
... Alors, c'est décidé, je serai Sam.
On s'est regardées, Taylor, Atalante et moi, ce premier jour.
On a toutes su qu'on portait chacune un secret. Et ces secrets, on les devinait. Et on a chacune fait semblant qu'ils n'existaient pas.
On avait seize ans. On pouvait encore faire semblant.
Juste un peu, faire semblant.
Un peu comme font les enfants.
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