J'aime torturer mes jouets.Rosiel ne supportait plus d'être cloîtré dans la grande maison vide,poussiéreuse,et surtout,totalement silencieuse.
Pourtant,hanter un lieu quasiment désert ne lui avait jamais déplu,mais là,c'était différent.Le soleil tentait de darder ses rayons meurtriers à travers les moindres interstices des volets branlants,et Rosiel ne pouvait pas se débarrasser de la détestable impression que,dehors,le monde tournait sans lui.
Or,s'il y avait bien une chose que Rosiel avait en horreur,c'était la sensation d'être ignoré par le reste du monde.
C'est pour cela que,depuis des mois,il restait dans cette vieille bicoque,seul,à éplucher des centaines de livres et de vieux journaux,tout ça pour réapprendre le monde.
Pour tenter de rattraper les trois cent ans qu'il avait manqués.
Il ne chassait qu'à peine,ce plaisir-là l'ayant déserté.Il restait seul avec la poussière,les araignées,le silence,et ses souvenirs.
Et il ruminait.
A quoi bon se réveiller frais comme une rose,après un long somme de trois cent ans,si le monde était devenu un tel capharnaüm ?
Rosiel était décidément las,très las,de tout cela.Il avait davantage envie de se coucher sur le sol,afin d'écouter le sourd battement de coeur de la terre,et les pulsations du monde,plutôt que de réapprendre ce dernier à travers tous les écrits qu'il pouvait dénicher.
Rosiel avait toujours été joueur.Et jamais bon élève,en classe.Bien qu'il fût capable d'apprendre sagement ses leçons,afin de pouvoir ensuite sortir chahuter dehors...
Eh bien là,c'était la même chose.Rosiel voulait réapprendre l'essentiel,avant de sortir dans la nuit,et de jouer avec les mortels.
Il avait envie de contact...
D'étreintes...
La solitude était décidément devenue trop ennuyeuse.
Depuis combien de temps n'avait-il pas adressé la parole à quelqu'un ?
Mais soudain,une petite voix venant des ombres de la maison murmura :
- Rosiel...
- Rosiel,tu ne changera jamais,hein ?
- Je t'ai quitté maussade et désoeuvré au beau milieu d'un château vide,et je te retrouve éparpillé au centre d'un beau bazar,dans une maison vide pleine de courants d'air.Et Phantom est du même avis que moi.
Un sourire se dessina lentement sur les lèvres purpurines de Rosiel.- Mon cher angelot,te revoilà enfin...Après toutes ces années...
- N'as-tu pas honte,de m'avoir délaissé aussi longtemps ? Tu es d'une cruauté rare...Tu m'as manqué,oh oui,mon adorable petit trésor.
- Ne te moques pas de moi,Rosiel...Je ne te manque que lorsque tu te sens très seul.Et je n'avais pas envie de te revoir,voilà tout.
Rosiel fronça les sourcils.Décidément,ce gosse devenait de plus en plus arrogant avec les décennies.- Quel ingrat tu fais,Faust...Tu parles à celui qui t'a tout appris.
- Mais à quel prix ? Nous n'allons pas reparler de ça,Rosiel.Je te déteste,et tu me vois comme un jouet.Mais nous avons besoin l'un de l'autre,et cela est tout à fait pathétique.
- Faust...Mon petit ange austère.C'est toi,qui ne changera jamais.Après tout ce que je t'ai donné...Tout ce que j'ai fait pour toi...
- Tu ne saisi toujours pas à quel point je t'aime ? Mon petit vampire parfait.Ma plus somptueuse création.
- Même Phantom en conviendra,hmm ? Sans moi,tes restes putréfiés pourriraient encore avec ceux de tes pauvres frères et soeurs.
- Cher petit ange...Tu me connais.Tu sais à quel point je peux être une crème.Mais n'oublie jamais que mes crocs sont plus acérés que les tiens.
Tout sourire,comme si la discussion n'avait jamais eu lieu,Rosiel s'assit avec grâce entre les livres et les pétales de roses éparpillés,avant de forcer plus qu'il n'invita Faust à prendre place près de lui.- Regarde,trésor.Je suis devenu très studieux.Comment est-ce,dehors,de nos jours ? J'avoue que je ne suis pas sorti beaucoup.Je me prépare,vois-tu.
Faust soupira.Visiblement,tout cela ne l'enchantai guère.- Dehors,c'est toujours pareil,Rosiel.Les paysages ont peut-être changé,ainsi que les moeurs,mais l'existence est toujours aussi facile pour nous.Si le jeu a changé,les joueurs restent les mêmes.
Ce fut au tour de Rosiel de soupirer.Vraiment,il ne savait pas ce qui avait rendu Faust aussi aigri.Avant,il était bien plus amusant,ce gamin.Peut-être que les compagnons avaient une date de péremption secrète ? Il pourrait toujours le tuer une bonne fois pour toute,et en recueillir un autre.Rosiel avait remarqué une aire de jeux,non loin de sa résidence ; il pourrait y faire son marché.
Enfin,les enfants mort-vivants sont,eux aussi,sensibles aux sucreries...- Faust,tu dois venir de loin,n'est-ce pas ?
- Finis donc mon verre.Il est encore bien chaud.
- Je n'ai pas faim.Et je déteste boire au verre,tu le sais très bien.Je déteste ça encore plus que toute ta personne.
- Nous préférons chasser,nous,n'est-ce pas,Phantom ?
Excédé,Rosiel,d'un mouvement brusque,plaqua Faust sur le volume qu'il lisait un instant auparavant.Le petit glapit,laissant entrevoir ses petits crocs nacrés que Rosiel trouvait si mignons,avant de lui jeter un regard hautain et méprisant.- Qu'est-ce qui se passe,Rosiel ? Tu as oublié à quel point je pouvais être désagréable,c'est ça ? Mais,je te rassure.Tu es bien pire.
D'un ton doucereux,qui ne présageait jamais rien de bon chez lui,Rosiel répliqua :- Attention à ne pas aller trop loin,Faust...Je peux reprendre tout ce que j'ai donné.
Impassible,Faust le scruta un long moment,de son regard vert hypnotique de chat.- Tu ne le fera pas,Rosiel.Tu déteste casser tes jouets.Tu préfère les entasser dans un coin,parce que tu es un horrible matérialiste.
Rosiel posa un doigt glacé sur des lèvres encore plus froides.- Chhht,mon chaton.
Puis il sourit doucement.- Tu ne voudrai pas m'énerver pour de bon,n'est-ce pas ?
Satisfait de voir que Faust ne ripostait pas,Rosiel continua sur sa lancée.Il adorait jouer au professeur avec les élèves désobéissants.Car ce sont bien les pires cancres qui font les meilleurs surveillants,non ?- Tu es un bien vilain petit bonhomme.Non,en fait,tu es vraiment exécrable.
- Une punition magistrale s'impose,à mon avis.Oh,ne me regarde pas avec ces yeux-là ; tu l'as bien cherché,mon mignon.
Ronronnant de satisfaction,Rosiel se pencha petit à petit sur le gamin,savourant son odeur familière,et l'appréhension qui naissait peu à peu dans le regard de son prisonnier,qui tentait maladroitement de rester impassible.- Mais,je vais être magnanime ce soir,je pense...
- Car tu m'as beaucoup,beaucoup manqué.Et le contraire est vrai aussi,non ? Si tu as été aussi désagréable,c'est sûrement l'émotion...N'est-ce pas ?
- Allez,mon joli canari...Supplie-moi,
roucoula Rosiel en passant une main sous la chemise de Faust,tandis que son autre main appuyait doucement sur sa jugulaire,pour le paniquer un peu plus.- Je vous en supplie...Ne soyez pas trop sévère,Maître Rosiel...
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