[Haunted] (DIM Bellosse/Benetia) Communion (p50)

« Le monde réel ne devrait appartenir qu’aux vivants » il se répétait frénétiquement ces mots, comme une prière ou une incantation, le cœur plein de hargne et de courage farouche. Il avançait dans le noir en serrant très fort son bidon d’essence. L’odeur toxique traversant le plastique engourdissait ses sens. Ses pas étaient nerveux et rapides, déterminés. Il longeait la ruelle et la haie redevenue sauvage, tout à l’affut d’une brèche. C’est alors qu’il la vit : un simple portillon en fer, rongé et garni de lierre, une entrée insoupçonnée. Que cette porte fût réelle ou non, qu’elle ne fût pas censée être là, celui ne lui traversa pas l’esprit, tout obscurci par sa hâte d’en finir. Il l’enjamba, un peu gêné dans ses mouvements par le bidon qu’il serrait toujours fermement dans ses bras, et voulu gagner sans tarder la porte arrière. Il ne remarqua pas le silence absolu du jardin, ni le froid soudain pénétrant, ni la disparition du portillon. Il parvint rapidement à la porte de l’office… elle était fermée.

Il chercha alors des yeux une fenêtre, une vitre qu’il pourrait aisément briser. La grande façade semblait grise à la lueur de la lune, de grands panneaux de bois semblaient condamner tous les accès. Son regard s’accrocha vivement sur une silhouette pâle à l’étage, le cœur cognant vite et fort dans sa poitrine, il failli hurler. Ses yeux fous se détournèrent, l’instinct lui commandant de trouver une issue. Il vit alors une fente dans le soubassement. Une profonde lézarde dont il émanait un souffle d’air. Il y avait donc un sous-sol ! Voilà qui tombait bien ! Il s’agenouilla pour y glisser un regard, il y faisait affreusement noir, mais sans nul doute, il y avait un moyen ! Il pourrait y verser son essence et y jeter l’allumette, puis courir loin, loin de cette maudite maison. A quatre pattes, il entreprit de verser l’essence dans la brèche mais il suspendit son geste. Et si le sous-sol n’en était pas un ? Si la maison s’en sortait après coup, parce qu’il avait négligé les détails ? Il lui fallait s’assurer que le brasier atteindrait bien toutes les fondations. Avant même d’en avoir conscience, son corps avait déjà amorcé le mouvement.

Il avait laissé tomber le bidon d’essence et de ses deux mains, il tirait sur le bois, arrachant la planche aux clous tordus, égratignant ses doigts, agrandissant le trou où il se faufilait déjà à plat ventre. Il tomba lourdement sur un sol de terre battue à l’odeur de tombeau. Il avait oublié ses allumettes, oublié l’essence, il cherchait à se repérer dans le noir profond, laissant courir ses mains fébriles sur la terre meuble, respirant bruyamment, avalant un air glacé. Et puis il sut. On l’avait invité à entrer. En face de lui, deux reflets rougeâtres et fixes luisaient, un souffle remua l’air. Un souffle de bête sauvage au cœur d’un sépulcre. Ses membres se rigidifièrent, sa mâchoire serrée, les yeux écarquillés, un frisson violent le traversa. La menace était pesante, il n’arrivait plus à respirer. Quand il sentit des mains desséchées, épouvantablement raides enserrer sa nuque, il sut que c’était la fin. Son cri n’eut pas le temps de jaillir de sa gorge. Un filtre rouge couvrit sa vue ; l’ouïe assourdie par un bruit de succion répugnant, une douleur aigue vrilla son cerveau, son corps entier vibra de souffrance et bientôt, il n’y eut plus rien.

Empêtrée dans son linceul, la bête souriait d’extase.