Une année très glamour ! Nouveau ! Dernier épisode (p. 5)

Elimane consulte sa montre et me demande :

- Ça te dirait de déjeuner avec moi à la cafétéria du quartier ? Nous pourrions comme cela faire un peu mieux connaissance.
- Peggy m'y a déjà amenée hier, répliqué-je, hésitante.

Je n'ai pas envie de dépenser tout mon argent en notes de restaurant alors que je n'ai même pas encore touché mon premier salaire !
- Allez, dis oui ! C'est moi qui t'invite !

Puisqu'il insiste, et qu'en plus c'est lui qui paie, pourquoi pas ? D'ailleurs, j'ai moi aussi envie de mieux le connaître. Je le trouve sympathique et il m'inspire confiance.
Nous retournons à la cafétéria qui s'appelle "Les Quatre Saisons" et qui se trouve à deux pas de l'agence. Aujourd'hui, je me décide pour un Fish and chips, tandis qu'Elimane commande un hamburger. Il me regarde, amusé :

- Cela me change des filles qui grignote du bout des lèvres une salade sans assaisonnement !
- Et toi, le hamburger, c'est pour afficher tes racines américaines ?
- Tu ne vas pas me croire, mais cela fait au moins deux mois que je n'en ai pas mangé.



- Comment se fait-il que tu vives en France ?
- C'est une longue histoire, répond-t-il en soupirant. Ma famille est originaire de la Caroline du Nord, Wilmington plus exactement, une ville portuaire. Mon père exerçait le métier d'avocat dans un cabinet où il était le seul afro-américain. Et de fait, il n'avait que des clients de couleur, les blancs ne daignant pas s'adresser à lui. Mais les affaires marchaient bien et il s'était fait une solide réputation de gagneur de procès. Un jour, un confrère jaloux de son succès, l'a accusé de produire des fausses preuves dans une affaire criminelle. Après un combat difficile, il a réussi à prouver son innocence, mais il a été très marqué par cette diffamation. Peu de temps après, ma mère qui était enseignante, a été agressée en rentrant chez nous. Elle n'a malheureusement pas survécu à ses blessures. Ce drame nous a bien sûr tous dévastés, mon père, ma sœur et moi. C'est ce qui l'a déterminé à quitter sa patrie, pour que nous, ses enfants, échappions à la violence et au racisme latent de la société américaine.
- Pourquoi la France ?
- Mon père a toujours été fasciné par la culture française. Il a appris le français et le parle très bien. Il est incollable sur les grands écrivains et poètes français ! De plus, un de ses amis lui avait trouvé un job au consulat américain de Paris. Par contre, pour moi qui avais quinze ans et ma sœur qui en avait dix-sept, c'était une vraie catastrophe de quitter notre environnement familier et nos amis. Et puis, nous étions loin de parler aussi bien français que notre père. Mais nous avons fini par nous adapter.
- Et alors, est-ce que votre vie en France a correspondu à l'idée que vous vous en faisiez ?
- Quand on idéalise quelque chose, on est toujours un peu déçu par la réalité, mais dans l'ensemble, nous sommes heureux ici et personne de ma famille n'a l'intention de retourner aux Etats-Unis, sauf pour des vacances ou pour rendre visite à mes grands-parents maternels. Et toi, pourquoi es-tu en France ?
- Ma mère était amoureuse d'un français, elle l'a suivie en France mais ils se sont séparés lorsqu'elle est tombée enceinte. Une histoire assez banale en somme ! Après, elle est restée en France parce qu'elle s'y plaisait et qu'elle s'était plus ou moins brouillée avec ses parents. Elle est décédée il y a peu de temps.
- Oh, je suis désolé pour toi !
- C'est la raison pour laquelle j'ai voulu faire une pause dans mes études. Le fait de devoir m'adapter à un nouveau métier monopolise mon attention et m'aide à ne pas penser à mon chagrin.
- C'est un peu à cause de moi que tu te retrouves chez OOAK, alors n'hésite pas à me solliciter si tu as le moindre problème.



Je trouve Elimane gentil et très séduisant avec ses grands yeux bruns chaleureux. Nous reprenons le chemin de l'agence en parlant de choses et d'autres.

Je retrouve Peggy à la salle de repos, à croire qu'elle ne décolle jamais de là.

- Salut Maureen ! T'étais où ?
- J'ai déjeuné avec Elimane à la cafète.
- Waouh, tu as fait une touche !
- Ne sois pas idiote, je le connais à peine !
- Viens voir, nous avons reçu les dernières images des défilés Chanel et Balmain, auxquels ont participé les sœurs Cornell et Salvatore ! Tu vas voir ce que c'est que la classe !



Peggy me montre sur un écran d'ordinateur toute une série de clichés qui provoquent mon admiration. Je me dis que je n'atteindrai jamais ce niveau !

Alors que nous regardons les photos, des éclats de voix attirent notre attention. Brittany et Petula Cornell en personne, viennent de faire leur entrée. Elle se ressemblent comme deux gouttes d'eau, blondes, grandes et élégantes mais dans des styles différents.

- Salut les filles ! s'exclament-elles en chœur.

Petula s'avance vers moi et me jauge de la tête aux pieds :
- C'est toi la nouvelle ? Elle se tourne vers sa sœur en pouffant. Je ne savais pas qu'on recrutait maintenant des naines !
- Eh, les chipies, vous pourriez être un peu plus aimables ! s'indigne Peggy.
- Laisse tomber, Peggy ! dis-je, piquée au vif, elles sont la preuve qu'on peut être jolies et malpolies !
- Oh, chérie, ne le prend pas mal ! rétorque Brittany d'une voix mielleuse, c'était juste une plaisanterie !



- Mais ce sont nos shootings, s'exclame Petula en jetant un coup d'œil sur l'écran. Si tu veux des vrais conseils de pro, petite, c'est quoi ton prénom ?
- Maureen.
- Donc, petite Maureen, tu peux t'adresser à nous. Nous nous ferons un plaisir de t'éduquer.

Décidément, elle enfonce le clou sur ma petite taille !

- Je suppose que je dois vous remercier, dis-je d'un ton un peu acerbe.
- Sur ce, nous vous laissons, dit Brittany en consultant sa montre, nous devons présenter des sacs chez Hermès.

En sortant de la salle, elles croisent une jeune femme très jolie avec une peau ambrée et de longs cheveux d'ébène.

- Bonjour Jenna ! lui dit Peggy. Je te présente Maureen Doherty, la dernière recrue de l'agence.

Jenna me lance un regard peu aimable, et sans un mot de bienvenue me demande :

- C'est toi la fille qu'Elimane a repérée dans la rue ?
- Sur la terrasse d'un café plus exactement, précisé-je.



- Ne te monte pas trop la tête, Elimane n'est pas toujours très perspicace pour repérer les nouveaux talents !
- Pourtant, il t'a bien repérée, toi ! objecte Peggy.
- Ça lui arrive d'avoir de bonnes intuitions, rétorque-t-elle sans se démonter.

Jenna se sert une tasse de café et sort de la pièce sans plus nous accorder d'attention.

- Charmant ! commenté-je. Qu'est-ce qu'elle a contre moi celle-ci ?
- Ne fais pas attention, explique Peggy, elle est amoureuse d'Elimane et cela l'agace qu'il t'ait remarquée. C'est juste de la jalousie !
- Et Elimane, il est amoureux d'elle ?
- Non, et c'est bien ce qui la rend acariâtre !
- C'est seulement mon deuxième jour et j'ai l'impression que tout le monde m'en veut ! dis-je en soupirant.
- Mais non, moi, je t'aime bien ! Allez, viens, tu vas t'entraîner à avoir une démarche de mannequin.

Je fais quelques exercices sous la supervision de Peggy, quand j'entends soudain des applaudissements. Un grand brun a fait son entrée dans la salle de repos, et pour l'avoir vu récemment sur les photos, je reconnais Salvatore Fiorello.



- Pas mal pour un début ! fait-il avec un grand sourire découvrant des dents impeccables. Je suppose que tu es Maureen, la nouvelle ? Lucas m'a parlé de toi. Moi, c'est Salvatore.
- Enchantée, dis-je, un peu intimidée.

Il s'approche de moi et m'observe de son regard sombre comme s'il voulait pénétrer jusqu'au fond de mon âme, un petit sourire ironique sur les lèvres. Je me sens comme le petit Mowgli hypnotisé par le python Kaa !

- Tu correspond exactement au fantasme de la jeune fille celtique : des yeux d'azur, des taches de son et une chevelure cuivrée !
Je suis sous le charme ! Je n'ai pas toujours les mêmes goûts qu'Eli, mais pour une fois, j'avoue qu'il a eu raison de te recruter.

Je rougis sous le compliment, et baisse les yeux, un peu gênée.



Salvatore ne reste pas longtemps mais nous fait un grand numéro de Dom Juan avec des paroles aimables et flatteuses pour chacune de nous. En partant, il me dit :

- Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à me demander. Je veux être comme un grand frère pour toi !

Peggy le regarde s'éloigner avec une moue sceptique.

- Ça y est, tu as mordu à son jeu ! me fait-elle remarquer. Mais regarde-toi, tu es complètement subjuguée ! Un grand frère, tu parles !
- Mais, Peggy, il est si beau et si gentil ! Je crois que tu es trop sévère avec lui !

Peggy hausse les épaules :

- Je t'aurais prévenue !

En fin d'après-midi, je rentre chez moi, un peu déboussolée par cette drôle de journée, où j'ai eu des contacts tantôt bienveillants, tantôt hostiles. Je ne sais plus trop qui est ami, qui est ennemi.

Dès mon arrivée, je me jette sur le canapé et appelle Titi, ma chatte qui vient se lover contre moi. Sa douce chaleur et son ronronnement régulier ont pour effet de me calmer et me rassurer.



Bon, il va falloir maintenant que j'avoue à mon amie Anaïs que je me suis lancée dans la carrière de mannequin. Je prends mon smartphone et compose son numéro, prête à entendre ses récriminations.

Bonjour à tous,

Voici le cinquième épisode d'une Année Très Glamour que j'ai un peu tardé à finaliser, mais il y a eu les fêtes de fin d'années entre-temps ! Les photomontages m'ont pris aussi beaucoup de temps parce qu'il y a pas mal de personnages dans ce chapitre : les détourages ont été particulièrement fastidieux ! J'a dû coudre beaucoup de maillots de bain pour les besoins du scénario, mais heureusement c'est assez rapide à faire.

Voici le casting pour cet épisode :

• Maureen Doherty : Jigamaree-Bimong Maree
• Peggy Harcourt : Tonner Doll
• Jenna Santos : Tonner Basic Black Jac
• Izumi Nakamura : Liu Liu All Star Basic (Tonner)
• Swann : Torch Song Goddess (Tonner)
• Poppy Parker : Integrity Toys
• Lucas Mallory : Tonner Aragorn
• Elimane Felton : Tonner Russell Williams
• Salvatore Fiorello : Tonner Stephan Salvatore

Avertissement : Mon récit s'adresse à un public adulte.

CHAPITRE 5
QUI A PARLÉ DES SEYCHELLES ?

Nous voici déjà à la mi-décembre ! Je commence à me familiariser avec le mode de fonctionnement de l'agence OOAK. Je ne viens plus que lorsqu'on me le demande. Cela me laisse le temps de travailler un peu ma biologie végétale, histoire de ne pas être trop larguée lorsque je reprendrai mes études l'année prochaine.

Ma "carrière" de mannequin ne décolle pas vraiment ! J'ai fait quelques photos pour des pubs de supermarchés, mais rien de très excitant. Côté ambiance au travail, Peggy et Izumi sont les plus gentilles avec moi, les autres, je préfère ne pas en parler !

Alors que je prends tranquillement mon café, Lucas m'appelle pour m'annoncer que je suis embauchée pour l'élaboration d'un catalogue de maillots de bain. Je dois me présenter à l'agence dès sept heures le lendemain.



Comme nous sommes en pleine saison froide, j'imagine que nous allons partir pour une destination exotique. Il paraît que les Seychelles, ou encore l'Afrique du Sud sont des spots très prisés pour les photos de mode. Je m'étonne que Lucas ne m'ait pas demandé de prendre une valise. Mais peut-être qu'il y aura juste une réunion de préparation demain où on nous expliquera le programme.

Le lendemain matin, je me lève de bonne heure et arrive pile à sept heures à l'agence. Cinq filles attendent déjà dans le hall d'entrée. Il y a Peggy, Izumi, Jenna et deux autres mannequins que je ne connais pas encore : Swann, une belle blonde au type nordique et Poppy, une rousse piquante, très maigre.



Quand je parle des Seychelles, elles explosent toutes de rire en se tenant les côtes.

- Mais qui…qui a parlé des Seychelles ? demande Peggy, hilare. L'agence n'a pas le budget pour nous payer des voyages à l'autre bout du monde ! Quand nous faisons des photos de plage, cela se passe souvent à Honfleur.
- Bien deviné, Peggy ! s'exclame Lucas qui vient d'arriver. Comme d'habitude, départ en minibus, direction la plage du Butin. Tout est organisé d'avance : l'hôtel Bellevue vous prêtera ses vestiaires et vous y prendrez le repas de midi avant de repartir dans l'après-midi. C'est Elimane qui fera les shootings, mais il vous retrouvera sur place. Il part avec sa propre voiture.
- Mais, nous allons mourir de froid ! protesté-je.
- Bah, cela ne va pas durer longtemps, juste un mauvais moment à passer ! rétorque Lucas avec un petit sourire ironique.



Alors qu'il s'éloigne, Peggy me chuchote à l'oreille, me faisant pouffer de rire :

- C'est la même réflexion que se font ses copines !

A ce moment, Salvatore fait son entrée, attirant toute notre attention.

- Salut les filles, j'ai décidé de venir avec vous !
- Tu vas poser en maillot, toi aussi ? demandé-je naïvement.
- Non, Maureen, j'ai juste envie de voir la mer et aussi des belles filles, ajoute-t-il, charmeur.

Toutes les filles, sauf Peggy toujours aussi défiante, sont suspendues à ses lèvres et le dévorent des yeux.



- C'est tellement gentil à toi de nous accompagner ! s'écrie Swann en battant des cils qu'elle a très longs.
- Je vous suivrai avec ma voiture, précise Salvatore, le minibus, très peu pour moi !

Nous prenons le départ sans trop tarder. Le minibus est conduit par Antoine, un chauffeur taciturne engagé par l'agence. Pendant le trajet, Jenna qui ne m'aime pas beaucoup, m'ignore superbement et parle seulement à ses deux copines Swann et Poppy. Après environ deux heures et demi de trajet, nous arrivons à Butin Beach et nous arrêtons face à l'hôtel Bellevue, un vieil établissement à l'architecture normande traditionnelle. Elimane est déjà sur place et nous fait des signes de la main. Jenna se précipite vers lui pour lui faire la bise.



Je reste un peu en retrait, ne voulant pas avoir l'air de rechercher sa présence. Je n'ai pas envie d'envenimer mes relations déjà pas terribles avec Jenna. Il se rapproche cependant de moi en souriant :

- Pas trop dur le réveil matinal, Maureen ?
- Non, j'ai l'habitude de me réveiller tôt.

Peggy se croit obligée de raconter que j'imaginais partir aux Seychelles, ce qui fait immanquablement rire Elimane.

- Il faut être stupide pour croire ça ! commente méchamment Jenna.
- Au contraire, je trouve cette naïveté plutôt rafraîchissante, me défend Elimane, ce qui visiblement contrarie Jenna

Il nous explique ensuite comment il envisage la séance de shootings photo.

- Nous avons de la chance, il fait un beau soleil mais par contre, il fait très froid. Nous allons donc essayer de travailler rapidement pour que vous ne soyez pas congelées !
- Pourquoi ne pas faire des photos de plage plutôt en été ? demandé-je en soupirant.
- Il faut vraiment tout t'expliquer ! s'exclame Poppy. La collection d'été se prépare en hiver et celle d'hiver en été ! C'est logique !

Bon, j'aurais mieux fait de me taire ! Elimane nous distribue à chacune plusieurs maillots de bain et nous nous rendons aux vestiaires de l'hôtel Bellevue pour nous changer.



Entretemps, Salvatore fait une arrivée remarquée, au volant d'une belle voiture de sport. Les autres clients de l'hôtel tournent leur regard vers lui, se demandant s'il s'agit d'une célébrité.

Elimane nous prend en photo, à tour de rôle, vêtues de différents modèles de maillots de bain. Entre deux prises de vue, nous partons vite nous réchauffer aux vestiaires.

Salvatore nous observe de loin, prenant le soleil sur un transat, un milkshake à la main. Il a la belle vie !



Elimane travaille vite et efficacement. Vers 13 heures, nous avons tout bouclé. Il prend encore quelques dernières photos de groupe pour la couverture du catalogue puis nous libère.







Il était temps que la séance se termine parce que je claque littéralement des dents. Je croise les bras sur ma poitrine pour me protéger illusoirement du froid quand Elimane me rejoint en courant. Il enlève sa veste et la pose sur mes épaules. Elle irradie encore la chaleur de son corps, ce qui me procure une délicieuse sensation.



- Mais, et toi ? protesté-je mollement.
- Ne t'inquiète-pas, j'ai un bon pull et je ne viens pas de poser en maillot de bain !

Il me raccompagne aux vestiaires où notre entrée fait sensation. Tous les yeux sont tournés vers nous.

- Il y en a qui sont pistonnées ! lance Jenna d'un ton acide.



Je fais semblant de n'avoir pas entendu et rends la veste à Elimane. Je me rhabille ensuite rapidement.

- Je ne vais pas déjeuner avec vous, nous annonce Elimane. J'ai rendez-vous dans peu de temps avec un client. Bon appétit et à plus tard !

J'avoue que cette séance de photos en plein froid m'a donné une faim de loup. Salvatore nous rejoint à table et par sa présence met tout de suite de l'animation. Il raconte des histoires drôles, fait des mots d'esprit, glisse un compliment flatteur à l'une ou l'autre d'entre nous. C'est difficile de résister à son charme. Même Peggy qui ne semble pas l'apprécier, finit par se dérider.
Nous avons un menu de poissons, ce qui semble de circonstance. Tout le monde mange de bon appétit même Poppy qui a une allure d'anorexique.



- Attention à votre ligne, mesdemoiselles ! dit Salvatore pour nous taquiner.
- Est-ce que tu fais attention à ce que tu manges aussi, Salvatore ? demande Swann.
- Bien sûr, et j'entretiens ma forme aussi en faisant du sport. Mon physique, c'est mon capital !
- Maureen a la chance de ne pas prendre de poids ! remarque Peggy.
- Les personnes qui prétendent ne pas grossir, se font vomir en général après les repas, insinue Jenna en me jetant un regard venimeux.
- Ce n'est certainement pas mon cas ! m'écrié-je en haussant le ton.

Cette fille commence à m'énerver sérieusement, à m'attaquer à tout propos !



Salvatore sentant la tension monter, essaie de calmer le jeu.

- Allons, allons, Jenna, pas de médisance gratuite ! Et la solidarité féminine alors ?

Jenna hausse les épaules, maussade. Je décide d'aller aux toilettes, ne serait-ce que pour m'éloigner de sa présence un moment. Les toilettes du restaurant sont à l'extérieur, accessibles depuis la plage et elles sont fermées à clef pour que seuls les clients puissent les utiliser. Je demande donc au bar une clef pour pouvoir y accéder. Pourquoi je vous raconte tout ça, vous demandez-vous ? Vous allez vite comprendre !

J'ouvre le cabinet et laisse la clef dans la serrure, à l'extérieur parce qu'il y a un petit loquet à l'intérieur également. Au moment où je m'apprête à sortir, j'entends un petit cliquetis. Je tourne la poignée et rien ne se passe. Quelqu'un s'est amusé à m'enfermer et bien sûr, je n'ai pas mon portable avec moi. J'ai eu un court moment d'affolement puis me suis vite ressaisie. Il y a d'autres cabinets de toilettes et une personne finira bien par venir.

Au bout de dix minutes environ, je perçois des bruits de pas et me mets à tambouriner sur la porte.

- Aidez-moi, s'il vous plaît, je suis enfermée !

J'entends la clef tourner dans la serrure, la porte s'ouvre et je me retrouve face à Salvatore.



- Maureen ! s'exclame-t-il avec étonnement. Qui t'a joué ce mauvais tour ?
- Je ne sais pas.
- Sans vouloir débiner, je crois que j'ai ma petite idée ! J'ai vu Jenna partir aussi aux toilettes juste après toi.
- Cela ne m'étonne pas !
- Pourquoi t'en veut-elle autant ?
- Elle est jalouse parce qu'elle croit qu'Elimane s'intéresse à moi.
- Et c'est le cas ?
- Il est juste gentil avec moi, dis-je en haussant les épaules.
- Quand un garçon est gentil avec une fille, c'est qu'il a une idée derrière la tête, affirme-t-il d'un air amusé. Allez, viens, je crois que c'est l'heure de partir.

Nous rejoignons les autres filles déjà prêtes à monter dans le minibus.



- Maureen, t'en as mis du temps, s'exclame Peggy, je commençais à m'inquiéter !
- Je te raconterai plus tard, dis-je en fusillant du regard Jenna qui pouffe de rire avec Swann et Poppy.
- Pour te remettre de tes émotions, je propose de te ramener en voiture, suggère Salvatore.

Je suis sur le point de refuser mais je vois que Jenna et ses copines sont vertes de jalousie. Du coup, j'accepte avec un grand sourire, et en partant, je fais un signe de la main à Jenna et aux autres filles.



En vrai gentleman, Salvatore m'ouvre la portière côté passager pour que je puisse m'installer. Il démarre la voiture et en passant, je nargue Jenna avec un petit sourire ironique. En retour, elle me fusille du regard. Salvatore me jette un coup d'œil et glousse.

- J'ai remarqué la petite joute entre toi et Jenna. Tu es finalement plus combative que je le pensais !
- Je suis d'une nature paisible, mais il ne faut pas trop me chercher !
- Tu fais très jeune fille sage et sérieuse ! Je ne t'imagine pas trop prendre du bon temps et t'écarter des sentiers battus.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne me connais presque pas ! rétorqué-je un peu vexée.

Puis, je reconnais honnêtement :

- Bon, c'est vrai que jusqu'ici, mes études ne m'ont pas laissé beaucoup de loisirs !
- Eh bien, profite de cette année pour te lâcher un peu ! Je peux t'initier à tous les plaisirs de Paris, et crois-moi, j'en connais un rayon !
- Hum, on verra, répliqué-je avec circonspection, me souvenant des mises en garde de Peggy.

Je ne sais pas trop qui se cache derrière la façade extravertie et séductrice de Salvatore. J'ai envie de le piquer un peu.



- Je peux te poser une question indiscrète, Salvatore ?
- Je vais te citer Oscar Wilde : " Les questions ne sont jamais indiscrètes, mais parfois les réponses le sont."
- C'est vrai que tu as vécu une histoire d'amour avec Lucas ?
- Joker ! dit-il avec un petit sourire ironique. Je ne vais pas te faire une réponse indiscrète ! Qui t'a raconté ça ? Peggy, je parierais, c'est une vraie pipelette ! Tu sais qu'elle a été une enfant battue ? Son père était un alcoolo qui maltraitait sa femme et sa fille. C'est pour ça qu'elle a un problème avec les hommes !
- Oh, je l'ignorais ! fais-je un peu gênée.

Je regrette ma question importune et décide de ne plus parler à tort et à travers. Salvatore ne semble pas m'en vouloir. Il me parle de ses défilés chez Balmain et de son admiration pour Olivier Rousteing, le jeune et talentueux directeur artistique de la marque.

Le reste du trajet se passe agréablement. Nous discutons de choses et d'autres, et surtout pas de notre vie personnelle ! Nous arrivons devant chez moi et Salvatore me raccompagne à ma porte.

- N'oublie pas, Maureen, je suis un très agréable compagnon pour toutes sortes de plaisirs. Et si tu as des problèmes dans ton boulot, n'hésite pas à me faire signe. Je veux être un grand frère pour toi !
- Eh bien, merci de m'avoir raccompagnée !
- De rien !



Il se penche vers moi et sans que je m'y attende, me dépose un baiser rapide sur la bouche.

- Tu embrasses ta sœur sur la bouche, toi ? lui lancé-je, un peu interloquée.
- Je n'ai pas de sœur ! dit-il en riant. Il rentre dans sa voiture et agite la main par la fenêtre en signe d'au revoir.

Je remonte chez moi, un peu troublée. Alors que je me sens toujours rassurée avec Elimane, Salvatore me donne au contraire une impression de danger, mais au final un danger bien excitant !

UNE ANNEE TRES GLAMOUR ! (Suite)

Le père d'Elimane habite à Chatou, dans les Yvelines, à environ dix kilomètres de Paris. Il est donc prévu que je passe une nuit sur place dans la chambre d'ami. Elimane m'a un peu tuyautée pour les cadeaux à offrir : une eau de toilette Chanel n° 19 pour Fara, sa sœur et une cravate pour son père Sidy, partisan d'une élégance classique.

Le 24 décembre, il vient me chercher en voiture en fin d'après-midi pour me conduire à Chatou. En chemin, il m'explique un peu le contexte familial.

- Dans ma famille, nous avons toujours été fiers de nos origines, c'est pour cela que nous portons tous des prénoms africains, même si notre patronyme s'est américanisé au fil du temps. Tu vas faire la connaissance de ma sœur Fara qui milite à peu près pour tout : les droits des femmes, des noirs, des opprimés de tout bord ! Elle a décidé de porter le boubou africain, ce qui ne plaît pas vraiment à mon père. Il trouve que c'est "too much".
- J'adore la robe africaine ! Je trouve qu'elle est si colorée et élégante !
- Tu vas faire plaisir à Fara ! Elle squatte en ce moment chez mon père, parce qu'elle s'est endettée pour ouvrir un petit restaurant de spécialités africaines, donc, ça l'arrange d'être logée gratuitement. Moi aussi, cela me convient car elle s'occupe ainsi de lui, ce qui me permet de prendre mes distances.



- Tu ne t'entends pas avec ton père ?
- Nous avons des caractères plutôt opposés ! Il a toujours regretté que je laisse tomber HEC pour devenir photographe. J'avais entamé des études de commerce seulement pour lui faire plaisir mais je n'ai pas tenu plus de deux ans. Il a plutôt été déçu par ses deux enfants qui n'ont choisi ni l'un ni l'autre des métiers qu'il juge sérieux : avocat, chef d'entreprise, médecin…

Nous arrivons chez les Felton et Fara, vêtue d'un boubou aux couleurs éclatantes nous accueille.



- Hi, Maureen ! Nice to meet you !
- Nice to meet you too, Fara !

Cela me fait plaisir de pouvoir parler de nouveau en anglais, ce que je n'ai plus fait depuis la mort de ma mère. Sidy, le papa d'Elimane vient nous saluer à son tour. Il préfère s'exprimer en français, ce qu'il fait très correctement malgré son accent américain.

- Je suis ravi de vous recevoir, Miss Doherty. Cela fait bien longtemps qu'Eli n'a pas invité de jeune fille à Noël. La dernière fois, c'était Diane, n'est-ce pas ? ajoute-t-il à l'adresse de son fils.
- Dad ! proteste Elimane qui n'avait visiblement pas envie d'en parler.

Je me suis demandée bien sûr qui pouvait être cette Diane : une copine d'Elimane ?



Fara m'accompagne à l'étage et me montre la chambre où je dois dormir. C'est une pièce charmante à la décoration légèrement vintage. Je me change et revêt la robe un peu habillée que j'ai achetée pour l'occasion. En descendant l'escalier, je croise Elimane qui arbore un pull de Noël bien kitsch !

- Tu aimes sérieusement les pulls de Noël ? lui demandé-je avec une mimique qui en dit long sur mon propre sentiment vis-à-vis de cette coutume ridicule.
- Non, pas du tout, c'est juste parce que mon père les déteste !
- Alors, c'est vraiment la guerre entre vous deux ? dis-je en riant.
- Juste une petite guérilla ! Toi, par contre, tu es ravissante ! s'exclame-t-il en me détaillant de la tête aux pieds.

Je rougis sous le compliment comme une idiote !



Nous rejoignons la salle à manger brillamment décorée avec un arbre de Noël traditionnel. Le père d'Elimane hausse un sourcil désapprobateur en découvrant la tenue de son fils.

- I see you're dressed up to the nines ! remarque-t-il d'un ton ironique.

Fara détourne habilement la conversation en parlant du menu africain qu'elle a cuisiné pour nous.

- Je compte proposer le même repas dans mon restaurant. Vous me direz ce que vous en pensez.

La table est joliment dressée avec des couleurs vives. Après le classique toast au champagne, Fara nous sert des pastels (chaussons) farcis de poisson et parfumés au gingembre. Vraiment délicieux !



Le plat principal est un mafé de poulet à la sauce aux cacahuètes qui a l'air appétissant. Cependant, à peine ai-je goûté une bouchée du plat que je deviens toute rouge : j'ai l'impression d'avoir avalé des braises ! En voyant ma tête, Elimane s'inquiète :

- Quelque chose ne va pas, Maureen ?
- Le…le piment ! bredouillé-je.

Il se leve précipitamment de sa chaise et revient peu après avec un verre de lait.

- Bois ça, c'est le meilleur remède contre le feu du piment !

Je bois cul-sec le lait et me sens un peu mieux après. Fara se confond en excuses :

- Je suis désolée, Maureen, je ne m'en suis pas rendue compte ! Il faut dire que notre mère cuisinait avec beaucoup d'épices et nous a habitué très jeunes à manger pimenté. Je faisais même des challenges avec Eli pour savoir qui supporterait le piment le plus fort !
- Et ça se terminait immanquablement par deux grands verres de lait ! ajoute Elimane en riant.

Après ce petit incident, le repas se poursuit dans une ambiance agréable. Nous parlons moitié en français, moitié en anglais, comme je faisais chez moi avec maman. Cela me rappelle des bons souvenirs ! Sidy, le papa d'Elimane, se montre très intéressé par les études que je poursuis et me pose de nombreuses questions.

Fara apporte le dessert, un beau gâteau à la noix de coco, "sans piment", précise-t-elle !

Nous échangeons ensuite nos cadeaux. Fara est ravie du parfum Chanel que je lui offre. Je reçois de sa part un beau sac en tissu wax et cuir qui sera parfait pour les beaux jours. Sidy apprécie mon nœud papillon en soie et me donne à son tour un livre de cuisine irlandaise.

- Vous avez deviné que je suis nulle en cuisine ! plaisanté-je.

Je tends à Elimane mon présent, un livre sur Vivian Maier, une fantastique photographe, méconnue de son vivant, dont on a découvert récemment l'œuvre par hasard. Il a l'air ravi :

- Merci Maureen, j'admire énormément son travail !

J'ouvre son cadeau, une ravissante écharpe en soie bleue.

- Assortie à la couleur de tes yeux, précise-t-il avec un regard appuyé.
- Merci Elimane ! dis-je en baissant les yeux, un peu troublée.
- Appelle-moi Eli comme tout le monde, c'est plus court !







En relevant la tête, je m'aperçois que Sidy et Fara nous observent avec un petit air amusé, ce qui augmente encore mon embarras.

Le repas étant fini, j'aide un peu à ranger la table et à un moment donné, je me retrouve seule avec Sidy à la cuisine.

- Vous êtes une jeune fille sérieuse, me dit-il, différente de celles qu'Eli fréquente ces derniers temps, toutes ces mannequins écervelées ! Vous savez, je ne suis pas contre les couples mixtes, mais j'espère qu'Eli n'est pas un simple amusement pour vous et que vous aurez le courage de vous engager sérieusement avec un homme qui n'a pas la même couleur de peau que vous.



J'ouvre de grands yeux : qu'est-ce qu'il est en train de s'imaginer ?

- Je crois que vous vous trompez ! Je ne suis pas la petite amie d'Eli. Je le connais depuis peu de temps, c'est juste un collègue de travail et un ami.

Je ne suis pas tout à fait honnête parce que c'est vrai que je ressens une petite attirance pour lui, mais je ne sais pas très clairement ce que je veux pour l'instant.

- Si vous n'avez pas envie d'en parler, ce n'est pas grave…



Sidy s'interrompt parce qu'Eli vient d'entrer dans la cuisine. Eli le regarde d'un air soupçonneux, pendant qu'il sort précipitamment de la pièce.

- Qu'est-ce qu'il t'a raconté ?
- En fait, il s'imagine que nous sommes amoureux !
- Oh, je suis désolé ! s'exclame-t-il, l'air gêné. C'est parce que j'invite rarement quelqu'un pour Noël.
- Sauf la fameuse Diane ! ajouté-je un peu perfidement, histoire d'en savoir un peu plus sur elle !
- J'ai rencontré Diane quand j'étais à HEC et nous avons eu une petite histoire d'amour qui s'est terminée quand j'ai quitté l'école. Ce n'était pas à cause de mon départ, il y avait sans doute d'autres raisons ! Mais nous sommes restés bons amis et je la vois encore de temps en temps. J'espère que cela ne t'ennuie pas trop d'être prise pour ma copine !
- Non, il y a pire comme méprise ! dis-je en souriant.

Eli se rapproche de moi et je crois un instant qu'il va m'embrasser, mais il se ravise et se contente de me souhaiter une bonne nuit.



Je rejoins ma chambre mais arrive difficilement à trouver le sommeil. Malgré la gentillesse de l'accueil des Felton, je ne me sens pas à ma place. Ce n'est pas difficile de deviner qu'Eli a un faible pour moi, mais je ne sais pas si c'est vraiment réciproque. C'est peut-être la solitude que je ressens depuis la mort de ma mère qui me pousse dans ses bras. Ce que je prends pour l'amour n'est peut-être qu'un simple besoin de tendresse. J'ai envie que quelqu'un m'enveloppe de ses bras et me console ! Je finis par m'endormir sans trouver la réponse à mes interrogations.

Le lendemain, je n'arrive pas à émerger avant dix heures du matin. Je m'habille et retrouve Fara dans la cuisine où elle s'active déjà à préparer le repas de midi. Elle m'explique qu'elle a remplacé la fameuse dinde de Noël par un gigot d'agneau parce qu'elle a envie de changer la tradition.

- Tu es une fameuse cuisinière ! lui dis-je. Je suis sûre que tu réussiras dans ton projet de restaurant, enfin, si tu mets la pédale douce sur le piment !

Elle rit :

- C'est gentil de me le dire ! J'aimerais que mon père en fasse autant, mais il fait partie de la vieille école qui pense que seuls les métiers intellectuels sont respectables !
- Cela viendra un jour ! la rassuré-je. Même s'il ne l'exprime pas, je suis sûre qu'il est fier de toi.



Le déjeuner se passe dans une ambiance joyeuse et détendue. Eli a renoncé à son pull de Noël et Fara à son boubou, ce qui semble rasséréner Sidy qui se montre de meilleure humeur que la veille. Au menu, nous avons un gigot rôti accompagné de beignets de patates douces et en dessert un "Pumpkin Pie".



Après le repas, je remercie chaleureusement Sidi et Fara de m'avoir permis de passer Noël avec eux. Ils me font chacun un hug.

- Revenez quand vous voulez ! me dit gentiment Sidi.



Eli S'apprête à me raccompagner à Paris mais nous nous arrêtons un moment sous le porche de la maison, décoré d'un bouquet de houx suspendu au plafond. Il fait beau et étonnamment doux pour une fin de décembre.

- Je crois qu'il est traditionnel de s'embrasser sous le houx le jour de Noël, affirme Eli.

Avant que je puisse protester, il dépose un baiser sur mes lèvres.

- Non, tu te trompes ! Il faut s'embrasser sous le gui, le jour de l'an.
- Ah, bon ? Tu sais, je suis américain, j'ai dû confondre ! rétorque-t-il avec une parfaite mauvaise foi.
- Après tout, tu as peut-être raison ! Je crois qu'en Irlande, on s'embrasse sous le houx.
- Et comme tu es irlandaise… conclut-il en m'embrassant à nouveau. Merry Christmas, Maureen !