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Conte de celle dont on ne prononce pas le nom

Il était une fois dans un pays lointain une reine très aimée et fort ballonnée prête à donner naissance à son premier enfant.

Comme tous les jours de liesse celui-ci commença très bien, avec musique et beuverie au programme des réjouissances festives, mais hélas il se transforma en cauchemar pour les intéressés, à l'exception des convives qui continuèrent à faire le plein des victuailles qui inondaient les tables, se moquant du malheur de la famille royale, tant qu'il restait du vin et des femmes peu leur importait.

Voici l'histoire de celle dont on ne prononce pas le nom.

Il est parfois des êtres si répugnants qu'il est impossible de les montrer au grand jour et dont on voudrait pouvoir ravaler la naissance pour les enfouir à nouveau dans le ventre de leur mère.

Évidemment une telle pratique aurait des conséquences médicales fort douloureuses pour la génitrice, alors au lieu de cacher l'enfant dans des entrailles endolories par des heures de travail si inutiles, le roi et la reine choisirent le plus horrible mensonge : celui d'annoncer que la reine avait accouché d'un bébé mort-né.

L'amour parental ne put se résoudre à assassiner le monstre, espérant sans doute qu'en grandissant l'enfant acquière un peu de la grâce de ses parents.

La princesse vécut donc ses premières années cachées de tous à l'exception d'une vielle nourrice sélectionnée pour ses qualités innées : elle était sourde et muette de naissance et un accident malencontreux la rendit aveugle la veille de rentrer en service.

Le roi n’était pas un homme cruel, plutôt bonhomme et bon vivant, mais il ne pouvait se résoudre à l'idée que quelqu'un puisse regarder au quotidien le visage de son horrible progéniture.

Les années passèrent et la reine sombra dans le mal être, toutes les boissons euphorisantes qu'elle ingurgitait pourtant volontiers ne lui redonnait pas le sourire.
Ne pouvant se résoudre à ne pas avoir d'héritier légitime, le roi fit appel à tous les grands sorciers du royaume pour trouver un remède à l'apparence de sa fille afin de la ressusciter socialement et de la marier, après avoir trouvé un moyen d'effacer le mensonge de sa naissance. Il était roi, nul doute que sa parole ne serait pas mise en cause.

La première à se présenter au royaume se prénommait Fourchenez, elle était d'une taille lilliputienne, au dos si courbé que son grand nez effilé touchait ses pieds. Elle portait sur son dos une énorme malle où pendouillait un verrou en fer forgé en forme de scarabée. Fourbue par son long voyage elle accepta volontiers plusieurs chopes de la boisson favorite du roi, un breuvage acide et verdâtre à base de fleur de pissenlit assez goûteux malgré les désagréments qu'il causait à ceux qui n'avaient pas un estomac assez solide pour le digérer.
- Allons voir votre princesse, s'écria Fourchenez en posant la deuxième bouteille vide.
Le roi tout en marmonnant en lui-même que cette sorcière manquait cruellement de discrétion la conduisit auprès de sa fille.
En apercevant la princesse, Fourchenez se redressa d'un bond et parut gagner au moins une dizaine de centimètres.

- Mmmh...mmhum...ah la voilà, rit-elle en sortant une clé de ses jupons.
Elle ouvrit sa malle et en examina soigneusement le contenu. Le roi curieux jeta un œil discret sur les trésors de magie : des dizaines de fioles colorées et des grimoires très anciens étaient méticuleusement rangés par taille.

Fourchenez commença à réciter dans des langues inconnues des sortilèges et fit boire plusieurs philtres à la princesse qui semblait s'amuser de ce spectacle, faut dire que la pauvrette n'avait guère de distraction et même si elle grimaça trois fois en buvant des boissons visqueuses, elle espérait que son obéissance aveugle lui apporterait en retour quelques bontés de ces géniteurs.

- Il ne se passe rien, s'impatientait le roi, pressant Fourchenez d'accélérer sa magie.
Le regard noir que lui jeta la sorcière le fit reculer jusqu'à sa chaise où bougonnant il s'assit mollement.
Fourchenez enveloppa la princesse d'un linge noir et après d'interminables minutes où elle récita encore et encore des incantations incompréhensibles, elle appela le roi et lui demanda d'ôter le drap.
La princesse avait changé d'allure, son visage était couvert de pustules rougeoyantes et ses cheveux s'étaient ternis en une couleur grisâtre.
- Merveilleux se réjouit le roi, quel prodige !!!

Mais la princesse, ne comprenant pas trop ce qui arrivait, se passa ses mains sur son visage et ses cheveux et la magie prit fin, son apparence première lui étant rendue.

- Impossible, impossible m'entendez-vous, s'horrifia la sorcière en secouant le roi avec une telle force qu'il se retrouva expédié à l'autre bout de la pièce.
Fourchenez prit dans sa malle une bouteille dont elle avala le contenu d'un trait et s'écroula raide morte sur le plancher.

Le deuxième se présenta comme un mage réputé au delà des royaumes connus. Il n'avait connu aucun échec et sa magie était plus puissante que celle de tous les autres mages réunis. Le prétentieux avait une allure sèche, il était si grand qu'on avait du mal à voir son visage très effilé dont les yeux perçants étaient si rapprochés qu'il ressemblait a un cyclope. Il portait un grand manteau noir avec une capuche comme ces magiciens de pacotille qui amusent les jeunes enfants sur les foires, une apparence caricaturale éloignée de celle d'un vrai mage.

- Je suis le Mage Percedent, se présenta-t-il avec un sourire éclatant qui dévoilait une dentition cariée à souhait. Le roi laissa même échapper un soupir d'admiration.
Très stoïque devant la princesse il l'examina sous toutes les coutures et semblait peu dérangé par le physique de cette dernière.
- Cheveux lisses blond doré, yeux en amande bleus, lèvres rosées, nez fin, symétrie parfaite, dents blanches parfaitement alignées, énuméra-t-il lentement.
- Vous pouvez arranger ça ? se risqua le roi qui s'ennuyait un peu de ce long descriptif.
- Vous doutez ? Je suis le plus grand mage de tous les temps passés et à venir, bien sûr que je vais arranger cela, comme vous dites.

Ses yeux s'étaient ouverts de colère et il ressemblait encore plus à un cyclope ce qui laissait le roi songeur, se régalant à l'avance du spectacle qu'il donnerait à sa cour lorsqu'il se débarrasserait de l'intrus dans l'arène, le livrant a ses plus féroces animaux de compagnie.
Le mage enveloppa l'enfant dans sa cape et lui tapa sur la tête avec une baguette magique qui était d'ailleurs le seul instrument qu’il avait amené avec lui.
La princesse se transforma en grenouille et sauta de surprise dans les bras du mage, l'embrassant involontairement.

Elle redevint elle-même inversant le maléfice, devant le regard horrifié du roi qui n'eut aucune peine à reconnaître le mage métamorphosé en crapaud, un exemplaire fort intéressant car il ne possédait qu'un seul œil.

Le suivant était malingre aussi mais plus taciturne. Il s'était présenté comme un sorcier redoutable utilisant des techniques révolutionnaires très efficaces, selon sa réputation qui l'accompagnait dans un frisson de terreur non masqué de ceux qui avait croisé son chemin. Il s’appelait Mornesire et ce prénom lui allait à merveille.
Il déclina toutes boissons, nourritures, ou femmes et voulut sur le champ se mettre au travail.
Il exigea que la princesse soit solidement attachée, sa technique comme il l’appelait nécessitait que le patient ne puisse bouger un orteil. On amena la plus belle chaise de torture, une des fiertés du roi qui sembla fort convenir à Mornesire qui laissa s’échapper de ses lèvres si fines qu’on ne pouvait en déterminer le contour un soupir de plaisir.
- Parfait, parfait. Je vais pouvoir commencer, dit le mage en se frottant les mains et une lueur de malice éclaira son regard.
Il ouvrit lentement sa mallette et en sortit plusieurs pinces, griffoirs et autres instruments de supplices.
- Mais qu’est-ce donc ? s’exclama le roi. Si j’avais souhaité qu’on torture ma fille j’aurais fait appel à un bourreau.
- Voyons, voyons, ma magie réside dans la cautérisation des plaies, elle aura de si belles cicatrices que tous les jeunes hommes souhaiteront en caresser les lignes. Un bourreau moi, sacrediable je suis bien plus, je suis un artiste, je sculpte les corps et je vais vous rendre votre princesse aussi belle que vous en aviez jamais rêvé. Mornesire exultait et bavait tout en gesticulant pour accompagner ses mots de gestes explicites.
- Fort bien, faites donc...au point où j’en suis. Désolée mon enfant. Le roi regarda à peine la princesse qui suppliait de ses immenses yeux bleus.
La séance fut longue et laborieuse, à chaque hurlement de la princesse, le roi souffrait un peu plus et essayait de calmer l’enfant.
- C’est pour ton bien ma chère. Tu verras comment tu seras belle ensuite. Ne dit-on pas qu’il faut souffrir pour être belle ? Tu verras comment je serais fier de toi.

Le travail dura toute la nuit. C'était horrible, le roi eut même la nausée et se demanda s'il allait digérer cet œil de crapaud qui avait constitué son repas du soir et qui avait provoqué l'émerveillement en cuisine, il faut dire que personne n'avait jamais vu un batracien avec un seul œil.
À l’aube, le roi put regarder le résultat, c’était au delà de ses espérances. Ses longs doigts fins avaient tous été réduits d’une phalange, ses yeux étaient boursouflés et son nez semblait avoir été ouvert en deux dans le sens de la longueur ce qui l’épaississait joliment, quant à sa bouche quelle œuvre d’art, elle était finement striée de cicatrices parallèles.

- Oh mon enfant ! Quelle merveille ! Viens donc dans mes bras.
On détacha la princesse pour qu’elle rejoigne son père et dans les bras de celui-ci pour la première fois de sa courte vie, elle pleura tellement que ses mains et son visage étaient baignés de ces larmes.
Le roi horrifié la repoussa violemment, les larmes de la princesse lui avait rendu son visage et ses longs doigts si fin.
Mornesire fut si blessé que son œuvre d’art soit détruite par une magie inconnue qu’il se coupa la langue, les oreilles et s’éborgna de rage.
Le roi le garda avec lui à son service, ce fut le seul mage qui ne connut pas une mort violente.

Et il y en eut des dizaines et des dizaines, cela dura plusieurs mois et aucun ne put parvenir à changer la princesse. Invariablement elle redevenait elle-même, immuable comme si la nature et les dieux refusaient de donner au roi enfin l’enfant de ces rêves. Ils l'affamèrent mais la nourriture ne semblait pas lui manquer, des aliments apparaissaient par magie, au simple touché un bout de terre devenait un pain exquis.

Le roi désespérait et la reine de plus en plus mélancolique lui refusait toujours sa couche.
Elle ne voulait plus entendre quoi que ce soit sur cette princesse dont elle avait renié l’existence dès la naissance.

Alors le roi prist une décision. Il fit venir le plus grand architecte et lui commanda de murer les caves du château où était enfermée la princesse et de ne permettre aucune issue possible. Il utiliserait des pierres volcaniques les plus solides qui existent, quel que soit le prix et même si ça devait lui coûter sa fortune, le roi ne voulait plus que jamais quiconque et y compris lui-même ne puisse s’approcher de son horrible fille. Elle périrait dans sa prison noire puisque de toute façon elle était déjà morte aux yeux de tous.

L’architecte s’entoura des meilleurs maçons et tailleurs de pierre et tous se mirent au travail.
Les travaux durèrent des lunes et des lunes. Tous ceux qui travaillaient à ce chantier avaient ordre de ne jamais regarder celle qu'ils allaient emmurer vivante, c'était au dire du contremaître une sorcière maléfique qui transformait quiconque en statue de pierre au moindre regard. Des stratégies se mirent en place pour toujours lui tourner le dos, ce qui rendait le travail un peu difficile mais aucun d'entre eux n'aurait voulu transgresser la règle, ils avaient très peur du pouvoir que semblait avoir cette créature.

Aucun, sauf un. On l'appelait l'idiot, il venait d'un petit village et déjà tout jeune il avait été rejeté par ses camarades pour sa laideur et son attirance pour les poèmes au lieu de s'intéresser à l'art de la guerre comme ces autres camarades.
Peu manuel il fut pourtant envoyé en apprentissage chez un tailleur de pierre, cousin éloigné de la mère qui recueillit l'idiot par pitié familiale.
Bravant l'interdit donc, il se retourna une fois et tomba sous le charme de cette demoiselle, il n'avait jamais vu une aussi belle fille. Un jour, profitant d'un moment de pause de l'équipe et finissant de graver sur une pierre le numéro qui permettrait aux maçons de savoir où la positionner, il aborda la belle et échangea quelques mots. Touché par son histoire il lui promit de venir la délivrer.
Bien sûr il n'en fit rien, il ignorait comme le reste de son équipe qu'une fois le travail terminé il se retrouverait dans les geôles du château attendant d'être dévoré, lors d'une joute très prisée, par un des animaux sauvage qu'affectionnait le roi.

Le roi et la reine furent très heureux les années qui suivirent. Le roi avait trouvé un philtre d'amour dans la malle de Fourchenez, ce qui lui avait permit de reconquérir sa femme qui retrouva le chemin du lit conjugal.
De cet amour soudain naquit une fille, adorable, aux cheveux filandreux d'un noir jaunâtre, aussi large que haute et dont le nez était si grand qu'il mangeait deux bons tiers de son visage.

Quand elle eut l'âge de se marier, les nombreux prétendants se ruèrent au château dans l'espoir de remporter le tournoi dont le cadeau était bien sûr la main de la belle princesse.

L'un d'eux montant fièrement son cheval s'accorda une courte pause au pied du château. Il cherchait une jolie ronce à offrir à la princesse pour gagner son affection, cela pourrait lui épargner une mort horrible en cas d'échec au combat.

Ses mains farfouillant les roches dures trouvèrent une pierre plus lisse, d'une qualité de taille exceptionnelle, qui l'intrigua. En y regardant de plus près il lut un numéro suivi d'un nom tracé dans un cœur. Un doux murmure traversait la pierre dure et noire et il crut entendre un chant résonner et lui transpercer ses oreilles qu'il avait pourtant fort épaisses.


Lorsqu'il remonta sur son cheval, il avait le regard vide et murmura un nom : Mayfair.